*Blanchisserie Laveclair* S'il me blanchit ma cape noire... [PV]

Carnelune observait le contenu de sa garde-robe d'un air pensif. Enfin, garde-robe était un bien grand mot, impropre à désigner les quelques corsets et corsages, les jupons et le pantalon de toile qui étaient ses seules possessions vestimentaires. Il y avait bien sûr les inévitables sous-vêtements et une robe réservée aux occasions... Mais en ce moment, ladite robe était la seule chose propre qui lui restait.
Il lui avait bien été dit à son arrivée qu'il lui suffisait de laisser ses vêtements sales sur une chaise et qu'avant le soir, les elfes de maison les auraient lavés et même repassés, mais la jeune femme avait du mal à s'y résoudre. Un elfe de maison, ça se mange cette bestiole ? Non ? Alors, ils ne sont pas dignes d'intérêt.
Puis, au-delà de ce manque d'enthousiasme à laisser ses vêtements se faire nettoyer par magie par des créatures qui servaient à la fois de cuisiniers, de femmes de ménage et d'on ne sait quoi encore, une pulsion rebelle la poussait à ne pas faire comme les autres. Ainsi, après avoir contemplé l'aspect désolé de son armoire, avait-elle enfilé son jupon le moins gris de poussière et son haut lacé le plus présentable, fourré dans sa besace les autres vêtements et quitté sa chambre en se demandant où elle pourrait bien trouver une laverie, ou quelque chose d'approchant. Il devait bien y en avoir une au niveau de Pré-au-Lard, non ? Sans doute... Mais elle avait envie de quitter un peu les environs du château.

Aussi entra-t-elle dans la salle des professeurs, et, saisissant une pincée de poudre entre ses doigts, elle la lança dans le feu ronflant dans la cheminée en prononçant clairement :

- Chaudron Baveur.

Un tourbillon de cendres, d'étincelles et de conduits sales plus tard, Carnelune retomba souplement sur ses pieds dans la salle du bar qui servait à la fois pour les transplanages et les arrivées par cheminées. Elle eût un regard déprimé pour sa cape qui faisait grise mine, aussi bien au figuré qu'au sens propre (propre, oui, enfin non, pas dans ce cas-là) et elle rabattit son capuchon sur ses mèches d'ébène. D'un pas vif mais silencieux elle traversa le pub, saluant d'un geste le barman et ne s'arrêtant que quelques secondes pour ouvrir le passage menant au Chemin de Traverse. Elle s'avança encore sur quelques mètres avant de s'arrêter, un peu indécise. En fait, elle n'avait avancé au culot que jusqu'ici, n'ayant appris comment entrer au Chemin qu'en laissant traîner ses oreilles, et comment utiliser la Poudre de Cheminette dans une de ses lectures. Mais bon, puisque ça avait si bien marché jusque là, pourquoi s'arrêter ? Abordant la première personne qui passait, une petite mamie à l'air féroce (du genre à farcir ses cakes avec les voisins bruyants), elle lui demanda où était la blanchisserie, prenant l'air qui signifiait "LA blanchisserie, bien sûr" et la dame, après lui avoir adressé un bref coup d'œil, la renseigna rapidement avant d'entrer dans la boutique la plus proche, un apothicaire (sans doute pour refaire sa provision d'arsenic)(ou de cyanure).

Carnelune parcourut les rues pendant une poignée de minutes, lançant de discrets regards curieux aux devantures des magasins, avant d'arriver devant une petite boutique. Elle examina l'écriteau, poussa la porte et se retrouva dans une petite pièce meublée d'un comptoir et de banses à linge dans le fond de la salle. Elle fit encore quelques pas, s'arrêta devant le blanchisseur et jeta un regard inquiet à la pancarte Lavez plus blanc que le blanchisseur. Après une courte hésitation, elle sortit ses vêtements sales de sa besace et les posa sur le comptoir.

- Et, s'ils pouvaient rester noirs, ça m'arrangerait...

Un petit sourire à l'homme qui était probablement aussi pâle qu'elle, pour atténuer l'acerbité de ses paroles.

Carnelune ne put s’empêcher de lui rendre son sourire. Enfermée dans sa carapace d’indifférence et de froideur, elle n’avait récolté auprès des élèves et de ses collègues que des regards vite détournés, et cela lui avait alors parfaitement convenu.
Mais aujourd’hui n’était pas un jour habituel. S’échapper de Poudlard, de son ombre rassurante mais pourtant oppressante… Elle s’y plaisait, mais ce n’était pas son monde. Elle ne vivait vraiment que plongée dans les rues de Londres ou de sa banlieue, au milieu d’innocents badauds qui vaquaient à leurs futiles occupations, fatras d’individus qui pour elle étaient la normalité incarnée. Les baguettes, la fumée, la magie ? Non, pas tant que ça pour elle… Une part d’elle ne pouvait s’empêcher de considérer que tout cela était contre nature. L’autre part riait aux éclats de ces pensées ridicules ; l’homme Moldu s’étant éloigné bien davantage des sentiers battus que le sorcier moyen. Elle s’était souvent demandé pourquoi on demandait si tôt aux enfants de rejoindre l’école de magie, mais comprenait maintenant cet empressement. On appartient au monde dans lequel on a grandi… Elle était une fille de la technologie et des machines, pas des sorts et des potions. Pas tout à fait.

Elle reporta son attention sur le blanchisseur, se rendant compte qu’elle avait laissé le silence perdurer pendant quelques secondes. Même dans une boutique de Moldus, elle n’aurait en général prêté attention à personne, bien qu'il s'agisse de « son monde », mais elle était gagnée par l’euphorie de savoir qu’à quelques centaines de mètres se trouvait un terrain qu’elle connaissait et maîtrisait à merveille, et elle ne pût s’empêcher de répondre amicalement à Mr Laveclair :

- Si votre chant est aussi efficace que vous le dites, je peux vous assurer que je reviendrai avec plaisir ! Ma cape aurait grand besoin de vos services, elle aussi…

Oui, on peut dire que je viens d’arriver dans la région. Mais je travaille à Poudlard depuis quelques semaines déjà ; je n’ai juste jamais pris le temps d’en sortir…

Cette vieille habitude de laisser la conversation mourir d’elle-même… Décourager ses interlocuteurs, afficher derrière un air suffisant : Je veux qu’on me laisse tranquille, faire fuir les gens d’un regard glacial… Elle s’en accommodait à merveille d’habitude. Mais, en plus de son impatience et de sa joie en sachant que les rues qu’elle connaissait si bien étaient à portée de main, elle se sentait également mise en confiance par l’homme. Il dégageait une aura de simplicité, de compétence et de mise en confiance que la jeune femme envia l’espace d’un instant. Et, au lieu de se détourner de sa prévoyance, elle leva les yeux vers lui et laissa ses pensées s’échapper. Deux miroirs d’argent, et des pulsions, des idées qui auraient été enfouies sinon et qui désormais prenaient le contrôle de son être.

- Il me semble que vous connaissez bien les environs… Serait-il possible que vous m’indiquiez une boutique où je pourrais me procurer une chouette ? Pas… pas forcément la plus luxueuse, je doute même d’avoir assez d’argent pour m’en acheter une…

*Argent…*

- Oh, et… Savez-vous si… S’il y a un endroit où il est possible d’échanger de l’argent Moldu contre de… de l’argent sorcier ?

Une infime part d’elle-même, encore menée par son éducation et ses coutumes, suffoqua en entendant ces mots. C’était comme si elle s’était jetée, pieds et poings liés, dans la gueule d’un lion… Combien de choses pouvait-il deviner sur elle, maintenant qu’elle avait presque claironné qu’elle était d’origine Moldue ?
Cette vieille habitude de tout cacher sur qui elle était…

Le silence dura quelque peu mais Marin était patient. La jeune femme semblait perdue dans ses pensées et il respectait cela. Après tout, le client est roi. S'il veut rester deux heures à penser dans son magasin eh bien qu'il le fasse, enfin, après avoir payé bien entendu.

- A Poudlard ? Un bon travail je pense. Surtout par les temps qui courent. C'est sans doute un des endroits les plus sûrs au monde. Surtout dans ce pays, on est au cœur des évènements. Le danger est donc plus grand. J'en conclue que vous venez de finir vos études si vous travaillez à Poudlard. Vous paraissez jeune.

Marin se laissait aller. La solitude est parfois un pesant fardeau. Et Willy n'était certainement pas un être avec qui la conversation pouvait se révéler intéressante.

Elle continuait.

- Une chouette ? Vous avez chez Animoldus je crois bien. J'avoue que niveau animal, je suis déjà bien servi et qu'un seul me suffit amplement.

Ce disant, le ton de Marin s'était légèrement assombri. Il commençait à s'apitoyer sur son sort. Il se secoua intérieurement et se reprit bien vite.

- De l'argent moldu dites vous ? Hmmm. Sans doute que Gringotts est la meilleure adresse pour cela. Mais je n'ai jamais manié une telle chose aussi ne puis-je êter totalement affirmatif.

Marin était intrigué, la jeune fille ne semblait pas connaître des choses élémentaires. Elle avait l'air un peu déplacée aussi. Comme si elle ne se sentait pas à l'aise. Son évocation de l'argent moldu trahissait des origines dont le blanchisseur n'avait cure. Un client était un client.
Elle avait néanmoins l'air sympathique malgré tout. Marin sourit.

- Si vous avez besoins d'autres conseils je vous écoute. Profitez que je ne sois pas trop occupé et que j'ai le temps de vous répondre.