Le temps retrouvé [PV Djaniah]

Le lac, dans les premières lueurs du jour. Vous savez, au moment où le monde s’éveille petit à petit, et que vous contemplez ça, sans vraiment savoir pourquoi. Mais vous êtes là. Cela faisait plusieurs jour qu’Axel et miss Lebrec s’était réveillés étendus ici-même, sur ce rocher en péninsule s’enfonçant dans la tranquillité de l’eau morne du matin, silencieuse. C’est ici que leur aventure avait fonctionné, étrange et mystérieuse, si lointain et si proche, si vraie. Fallait-il que l’eau les lie à jamais ?

La baguette d’Axel reposait dans sa main droite, étalée sur la roche, un peu désespérée. Elle était un ange déchu qui depuis plusieurs heures tentait d’accéder au ciel, et retombait à chaque fois. A chaque fois plus profondément dans les entrailles de la terre. Un bras découragé étendu à terre aux côtés de son possesseur. Axel regardait le ciel, et le reste des étoiles qui s’effaçaient pour faire place au jour. Quel songe l’avait retenu ici ? Quelle espérance ? Depuis tant d’heures, il essayait ce qu’il ne pouvait réussir, ce que son ange ne pouvait atteindre, et dans son cœur, l’espoir prenait le chemin des étoiles. C’est ça, l’échec. C’est une journée qui se lève pour effacer les merveilles de la nuit.

Et m… On ne dira pas qu’Axel Kalyll avaiit abandonné.

Dans un nouveau sursaut, l’ange se leva et se pointa vers le lac, tendu comme l’espoir face à l’incertitude. Axel concentra tout ce qu’il avait, tout son pouvoir, toute sa magie, vers cet ultime but qu’il cherchait depuis tant d’années à atteindre. Depuis tant d’années…

Aquis Rego Pareo !

L’eau du lac trembla légèrement, comme si une force voulait la forcer à sortir de son socle paisible. Pendant quelques secondes, elle resta ainsi, puis le calme revint. Et l’ange tomba plus bas encore dans les entrailles de la terre. Assis de dépit, Axel observa cette étendue si étrangère. Cette étendue qu’il voulait. Cette étendue qui le rejetait. Il avait envie d’hurler. Mais il n’hurla pas. Il se contenta de serre les dents et les points, de rage, de tristesse, de désespoir, mais rien ne sortit. Il restait l’impassible qu’il était.

Et dire qu’il n’avait même pas parlé à son élève. Qu’il n’avait pas fait le point sur ce qu’il s’était passé. Ils avaient découvert tant de choses en si peu de temps. Axel avait découvert tant de choses. Des questions qu’il s’était posé depuis si longtemps venaient de trouver des réponses, mais pour combien d’autres questions encore ? Il devait parler à… à Djaniah. C’est ainsi qu’il aurait toujours dû l’appelé. Etrange moment que cette envolé du temps lorsqu’il est retrouvé.

Avandenn… ne put s’empêcher de penser à cet instant le professeur.

Ce jour là, Djaniah s'était réveillée avant le soleil. Soucieuse de ne pas réveiller ses camarades profondemment alanguies dans les bras du tendre Morphée, elle s'était habillée sans faire un bruit, avait passé sa cape au-dessus de ses épaules et n'avait pris que sa baguette avant de descendre lestement. Elle avait envie de voir le soleil se lever et le ciel s'éclairer doucement avec cette beauté inégalable par l'Homme. Elle monta rapidement les escaliers mouvants pour arriver à temps dans la tour d'astronomie. Elle s'accouda, respirant au maximum cet air frai et vivifiant du matin. Il ne restait plus qu'à attendre, ce ne serait pas long. Les premiers rayons apparurent à son plus grand bonheur. A cette vision, elle sentait en son coeur et en son corps une sorte d'apaisement l'engourdir dans un état de bien-être simple et naturel.

Quelques jours auparavant, elle avait vécu avec Axel Kalyll une expérience des plus folles. Au début, et même encore maintenant au réveil elle doutait que cela ce soit réellement passé. Elle avait l'impression d'avoir fait un rêve, extrêmement prenant, mais un rêve quand même. Alors, dans un doute palpable, elle croisait son professeur dans les couloirs ou le cherchait du regard dans la Grande Salle pour le voir et observer comment lui aussi la regarderait. Et c'est finalement sans un mot, sans un échange verbal ou gestuel qu'elle avait compris que ça avait eu lieu. Dans sa façon de poser les yeux sur elle. Leur lien venait d'être comme réouvert, porté au grand jour. D'une certaine manière, ce lien entre eux avait été semblable à une rivière souterraine, présente mais invisible, et tout à coup elle venait de jaillir avec force et lumière. Djaniah ne comprenait pas tout, même elle ne comprenait pas grand chose bien qu'elle passa de nombreuses heures l'esprit fixé sur ce thème. Elle avait cherché dans ses souvenirs, dans les récits de sa grand-mère mais elle avait encore une vision trop parcellaire. Il lui manquait cruellement des éléments clés. Et ces éléments elle les cherchait dans le contact visuel avec lui, lui qu'elle avait dorénavant du mal à lâcher des yeux. Ceux qui l'avait remarqué devaient pensé qu'elle était bêtement tombée amoureuse de son professeur malgré sa relation avec le prestigieux et sulfureux Jimy Raven. On la traitait peut-être de tous les noms derrière. Elle n'en savait rien, elle n'écoutait plus. Elle n'avait plus le temps ni l'esprit libre pour ça. Axel Kalyll absorbait une forte partie de son attention.

Regardant le soleil maintenant levé et le ciel d'un bleu clair, elle songea aux yeux d'Axel. Et voilà, il n'était jamais loin. Passant une main dans ses cheveux, elle décida d'aller marcher dehors jusqu'au lac pour respirer. Peu de gens étaient levés. Arrivant vers l'étandue d'eau, son coeur s'accélera un peu. Au début elle ne comprit pas pourquoi. Son corps avait réagit avant que sa conscience ne comprenne. Une silhouette. Elle le reconnu aussitôt. Un sourire étira ses lèvres, enfin elle aurait l'occasion de le voir en privé, chose qui avait semblé impossible jusqu'à présent. L'idée de lui parler la fit presser le pas. Pourtant elle resta discrète, ne manifestant pas sa présence trop tôt. Elle était curieuse car il semblait tenter quelque chose et elle voulait savoir quoi. En silence elle s'avança. Elle se trouvait dans son dos et certainement que la concentration qu'il rassemblait l'empêchait de percevoir l'extérieur. Avec une certaine surprise, elle entendit cette formule qu'elle avait du prononcer des dizaines de fois.

Une formule élémentaire pour l'eau? Mais... il n'est pas élémentaliste?

Elle s'avança davantage sans qu'il ne se retourne. Elle murmura alors d'une voix à peine audible comme elle s'était entraînée des jours et des jours dans la volonté de ne plus avoir à la prononcer pour faire apparaître son élémentaire.

Aquis rego pareo

Le lac fut parcourut d'une petite vacillation à peine visible. Il la sentait près de lui. L'eau ondula joliment et une partie sembla se détacher pour monter. Djaniah était toujours émerveillée quand elle apparaissait. Ouvrant ses mains elle lui fit signe d'aller vers cet homme si particulier. L'élémentaire glissa vers lui pour se présenter au-dessus de ses mains masculines. C'était une sorte de cadeau. Djaniah attendit qu'il se retourne avant d'avancer. Elle voulait tant lui faire plaisir...

Axel sourit. L’eau déposée devant lui, comme un cadeau fait à un enfant malheureux, le rendit un peu moins triste. Il aurait presque pu se voir dedans. Voir un reflet qu’il fuyait. S’accepter en tant qu’homme, il l’avait fait depuis longtemps. Mais en tant que sorcier… Il étendit sa main pour effleurer ce miroir à la fois opaque et transparent devant lui, attiré par la beauté de cette eau à la forme merveilleuse. Quelle fascination cette vague, cette rupture ave c l’étendue plate pouvait donner…

C’est étrange, miss Lebrec , dit Axel sans se retourner, les yeux rivés sur cette eau étincelante.

Je ne sais pas pourquoi, mais dès que vous êtes arrivée, j’ai su que c’était vous. Je l’ai senti. D’habitude, je n’arrive à reconnaître que les traces de ma propre magie. Mais je connais la vôtre. Ouais… je la connais bien. Comme si je ne l’avais jamais quitté.

Et se retournant, la tête levée pour pouvoir observer celle qui était venu là comme un réconfort face à la solitude, il poursuivit.

Vous vous souvenez du jour de notre rencontre ? Je veux dire… celle ici, à Poudlard. Quand vous avez débarqué dans mon cours de la façon la plus incroyable qui soit, et que l’on s’est retrouvé dans mon bureau. Je vous avez dit que vous étiez très courageuse de faire l’apprentissage de l’élémentalisme. A vrai dire, je vous trouvais exceptionnelle d’y parvenir, et je ne savais pas comment vous féliciter comme il se doit. Vous comprenez pourquoi je vous ai dit ça, maintenant, n’est-ce pas ? Peut-être que je vous enviais un peu. Quand j’avais votre âge, ça faisait déjà plus d’un an que je me vouais corps et âmes à cette magie. Et aujourd’hui, tout cela n’a pas beaucoup changé.

Nouveau sourire. Ces souvenirs n’étaient pas si douloureux. Axel avait finis par comprendre que le désespoir passait. De temps en temps, il revenait pour nous rappeler que la vie n’est pas une succession d’évènements heureux. Puis ils repartaient. Et ceci n’était que le désespoir d’Axel. Il se leva alors et attendit que son élève le rejoigne. Mais était-elle son élève ce matin là ? Pour une rare fois, le visage d’Axel exprimait quelque chose qu’il ressentait avec intensité, une tristesse, presque palpable dans l’atmosphère, si étroitement liée à cette invraisemblable solitude qui était sienne depuis toujours. Et lorsqu’on ne s’aime pas suffisamment pour être seul, cela signifie souffrir constamment. Et Axel avait toujours été quelque chose qu’il ne voulait pas être. Ou plutôt, la vie avait systématiquement refusé qu’il devienne quelqu’un d’autre. Et maintenant, Axel découvrait qu’il ne savait même pas qui il était. Qui il était…

Merci pour votre présent. Je ne sais pas si tout le monde peut se vanter d’avoir un élémentaire d’eau venu se mettre sur son nez !

Bien sûr, l’humour d’Axel, même s’il n’était pas faux, semblait bien vide face au discours qu’il tenait. Le soleil se levait déjà, et ses rayons se reflétaient par endroit sur le lac. Nouvelle preuve que beauté et tristesse ne font qu’un. Axel reprit alors sa pensée là où il l’avait arrêté. A la différence que pour une fois, il l’a prononçait de vive voix.

L’occasion n’a pas manqué, mais je crois que nous n’étions pas prêts à discuter de ce qui est arrivé ce soir là. Je pense l’être désormais. Il faudra bien un jour ou l’autre affronter mon passé. Et vous y êtes… Et tu y es directement liée.

Djaniah.

Pourquoi avons-nous été séparé ?

Le fait qu'Axel Kalyll puisse avoir deviné sans problème qui se tenait derrière lui surprit pas vraiment la jeune sorcière. Cela ne faisait que confirmer ce qu'elle ressentait, plus, ce qu'elle espérait. C'était étrange, il avait raison. Depuis longtemps elle avait cette sensation au creux du ventre, non compréhensible et non verbalisable, de courir constamment, de lutter constamment contre quelque chose de plus imposant qu'elle. Elle avait cru que son profond sentiment de solitude plus jeune avait été lié à son caractère et à sa crise d'adolescence. Mais finalement, peut-être que c'était plus que ça. Peut-être qu'il y avait quelque chose d'indicible en dessous, qui demeurait de façon latente, prête à s'exprimer, prête à hurler à la moindre occasion. La préfète se souvenait fort bien de sa rencontre avec Jimy, et aussi avec les autres élémentalistes. La raison pour laquelle elle s'était tellement accrochée et reconnue dans son appartenance au groupe élémentaliste, c'était parce qu'alors elle se sentait liée de façon éternelle à d'autres personnes. Elle avait l'impression que leur relation ne pourrait être rompue par rien au monde. C'était une illusion bien entendu. Mais désormais qu'elle y repensait, elle comprenait d'à quel point elle recherchait une relation forte et immortelle. Jimy illustrait parfaitement ce schéma. Elle vivait avec lui une relation d'amour symbiotique, jamais elle n'aurait pu songer à ce qu'elle s'effiloche seulement. D'une certaine manière elle vivait pour lui corps et âme, pouvant tout à fait envisager de donner sa vie pour lui. Avec Noxis, elle s'était sentie apprentie et fille, lui offrant sa confiance et son affection. Avec Kunga Namdak, elle pouvait moins se situer comme une fille que comme une petite soeur. Pourtant elle sentait qu'elle souhaitait inconsciemment renouer le lien filial. Et Axel... Avec Axel, elle ne savait pas vraiment, ou alors elle ne voulait pas savoir? Ce qu'elle ressentait pour lui, les élans de son esprit vers lui étaient à la fois trop clairs et trop diffus. Elle ne comprenait pas bien. Une émotion qui la dépassait, autant qu'elle la désirait, autant qu'elle l'effrayait.

Je ne sais pas.

Une réponse qui avait le mérite d'être courte, mais le désavantage de ne pas être très constructive. Pourquoi avaient-ils été séparés? Djaniah déjà n'était pas sûre d'avoir bien compris la vision qu'ils avaient eu, ni ce qui s'était passé cette nuit là. Elle ne savait trop quoi penser. Pourtant, elle avait beaucoup réfléchis, elle était partie voir son petit frère aussi pour discuter et échanger leurs souvenirs. Lilian connaissait tellement de chose à son âge ! Il ne se souvenait pas avoir vu un seul loup à Brocéliande le temps qu'il y vécu. Sa soeur non plus. Pourtant, tous deux avaient entendu l'histoire que leur grand mère qu'ils aimaient tendrement leur racontait certain soir lorsqu'ils étaient encore très jeune. Lilian avait lu beaucoup de livre, notamment ceux qui étaient à leur manoir breton. Il avait trouvé également de belles illustrations montrant les membres royaux précédents. Et à chaque fois, une chose avait attiré son attention : s'il pouvait reconnaître les membres de notre famille, il y avait pourtant une personne qu'il ne reconnaissait jamais. Une présence, un peu décalée par rapport à l'héritier, comme veillant sur lui. Le conte raconté par la grand-mère commençait ainsi, Lilian pu le réciter de mémoire :

"Il fut un temps où la famille royale de Bretagne vivant en harmonie avec Brocéliande, fut liée à un peuple extraordinaire. Ainsi, Brocéliande décida que chaque Héritier vivrait une relation fusionnelle avec un être qui était homme et loup. L'ordre ainsi établit n'aurait pas du se briser et pourtant... Pourtant il le fut et l'équilibre ébranlé laissa place au manque et à la solitude que rien ne remplace. Ce peuple décida de disparaître de la vie des Lebrec et personne ne les vit plus. Il est un oubli superficiel qui protègera le dernier enfant dont le destin à été scellé au louveteau jusqu'au moment le souvenir s'imposera comme une évidence. Un jour, l'équilibre devra être rétablit."

Djaniah resta un moment silencieuse avant de s'approcher de son professeur. Grâce à l'extraordinaire mémoire de son frère, elle avait compris un élément clé. Ce conte, bien qu'il n'expliqua pas tout, semblait narrer des faits qui s'étaient réellement passés. Et si elle en croyait sa grand-mère, elle devait être la dernière Héritière à avoir été liée à un membre de ce peuple dont elle ne connaissait pas le nom. Axel, ce ne pouvait être qu'Axel. Et elle entendait encore le cri de cette petite fille, d'elle-même, répéter inlassablement "Ma ! Ma ! Ma !". Ce hurlement cherchant quelqu'un ayant disparut brutalement, demandant qu'il revienne, ne pouvait qu'avoir été destiné à lui. Mais pourquoi "ma"? Et pourquoi, pourquoi avoir été séparés? Pourquoi le peuple avait-il décidé de disparaître? Que s'était-il enfin passé?

Ma grand-mère racontait un conte...

La sorcière se mit à son tour à le confier à Axel d'une voix hésitante et légèrement tremblante par l'émotion.

Cette nuit là, je vous ai vu transformé en loup. Et après c'était une petite fille jouant avec un louveteau. Ca ne peut qu'avoir un sens, n'est-ce pas? Je sais que moi je suis l'Héritière de Bretagne, la dernière jusqu'à présent, j'ai réussis le passage rituel demandé par la puissance de Brocéliande. Alors c'est forcément vous !

En face d'Axel, elle n'arrivait pas à se résoudre à le tutoyer. Il l'impressionnait trop, elle en aurait rougit s'il lui avait demandé. D'une certaine manière le vouvoiement lui permettait de garder encore une distance raisonnable et rassurante avec cet homme dont elle sentait que ses émotions la débordait. Le regard fixé, accroché au sien elle parlait en attendant, en lui suppliant presque silencieusement un consentement. Elle avait peur de se tromper. Elle avait peur de paraître idiote à ses yeux. Elle avait peur de ce que cela pouvait signifier. Un destin scellé à un membre de ce peuple, que cela signifiait-il? Elle l'ignorait et elle en avait peur. Son coeur battait plus fort qu'à l'habitude. Son élémentaire sentait la fébrilité de son élue et semblait parcouru lui aussi de léger tressaillement, comme des minuscules vagues flouant la surface lisse de la boule d'eau.

Je ne comprend pas bien ce qui s'est passé l'autre nuit. Pourquoi nous avons vu cela. Qu'est-ce que c'était? Une vision commune? Une magie puissante? Professeur Kalyll, vous devez savoir, vous... n'est-ce pas ?

Elle s'était avancé d'un pas de plus, se trouvant tout à coup très près de lui, recherchant peut-être réconfort et apaisement. Elle ne le lâchait pas des yeux. Et si elle avait osé, elle lui aurait saisit les mains. Mais elle ne put se résoudre à autant de proximité et d'intimité. Elle attendit réponse et réaction de sa part, l'élémentaire toujours entre eux.

Je suis loin de tout savoir…

Une réponse spontanée qui suffisait à elle-même. Même si Axel avait compris quelque chose cette nuit là, beaucoup de choses lui échappaient toujours. Mais ce que lui expliquait miss Lebrec rendait la chose d’une limpidité absurde, car tout se tenait, mais rien ne semblait réaliste.

Je crois bien en effet que c’est moi. Même si je ne comprends pas vraiment comment tout cela s’est passé, ni pourquoi. Je ne connaissais pas ton histoire. Mais il me reste des souvenirs enfouies profondément, qui remontent peu à peu. Parmi eux, il y a ceci : deux pendentif dont le signe m’est inconnu, qui a été donné à une enfant par une main innocente, la mienne.

Cette histoire troublait Axel, même s’il ne l’affichait guère. Un être qui était homme et loup. Homme et loup… Et ce souvenir, ce dialogue. « Voyons, Maël, ou peut-être devrais-je t’appeler Axel désormais. Je suis sûr que tu as compris. La raison de tes mots de tête en face de mademoiselle Djaniah Lebrec, la raison de tes vertiges, ton attirance incompréhensible vers elle, tes pouvoirs d’animagi, cette chanson et cette femme qui l’a chante, et que tu connais. Et je sais qu’au fond de toi, tu sais qui je suis. C’est pour ça que tu es venu. » Oui, il savait qui était ce loup étrange. Tout ceci était clair et pourtant, il ne pouvait l’accepter. Mais avait-il le choix ?

Avant que cette… chose se passe, cette magie, ce je ne sais quoi où l’on s’est retrouvé ainsi dans une situation innommable, j’ai eu l’impression de plonger dans un souvenir. Et là, quelqu’un, ou quelque chose, m’a parlé. Il m’a appelé Maël… Comme si la personne que je suis n’avait jamais existé. Et tout concorde, même si c’est difficile à avaler. Je suis l’homme-loup de cette histoire, trop d’indices le montrent, et loin de répondre à toutes mes questions, cela ne fait qu’en poser d’avantages. Que s’est-il passé ? Pourquoi me nomme-ton Maël ? Pourquoi ne suis-je pas avec ceux qui me serraient dans leur bras quand je t’ai offert ceci ? Pourquoi ais-je passé toutes ces années sans même savoir que tu existais ? Qu’est-ce que je suis, si je ne suis un homme ? Je ne sais pas tout ça. Et je crois comprendre que toi non plus.

Axel s’arrêta pris par une réflexion soudaine. Il venait de comprendre ce qu’il s’était passé. Son souvenir, son dialogue, puis ce moment étrange…

Je crois que nous avons plongé dans un souvenir commun. C’était peut-être le seul où nous partagions et le souvenir, et son oubli. Et peut-être que cette réalisation vient de ce conte. Qu’est-ce qu’une relation fusionnelle héréditaire, si ce n’est une magie pure et profonde, une magie oubliée depuis si longtemps et pourtant utilisée sans arrêt ?

Axel fut près d’un léger rire nerveux. D’un certain côté, tout cela frisait la mascarade. Peut-être rêvait-il encore, en réalité. Mais si toute la vie est un songe, le réveil n’en est que plus douloureux. Et Axel sentait déjà ses paupières s’ouvrir à nouveau, alors qu’elles étaient fermées depuis bien trop de temps.

Ce peuple a décidé de disparaître ? Pourquoi ? Où sont-ils à présent ? Je n’en ai jamais entendu parlé…

Et d’un coup, un nouveau mal de tête saisit le jeune homme. Brusque comme une bourrasque de vent, Axel eut un vertige, et tomba légèrement en arrière, avant de se rattraper de justesse. Et la tempête disparut aussi vite qu’elle était venue.

Et m…

Il y avait beaucoup de mélancolie dans la voix d'Axel. Une mélancolie douce et touchante. Celle d'un homme qui était en train de se rendre compte de la vie à côté de laquelle il était passé, sans comprendre encore pourquoi. Pourquoi cette injustice d'avoir été arraché à une famille aimante et à une destinée importante. Si sa mémoire lui faisait défaut, une petite lueur, faible mais non éteinte, continuait à briller encore et toujours en lui, réchauffant cette parcelle qui conservait la vérité de ses origines. Et par le contact revenu entre Djaniah et Axel, contact improbable et pourtant, la petite lueur s'était transformée en une véritable flamme ardente, prête à exploser l'oubli et le déni. Rien ne lui résisterait. Elle apparaissait au grand jour et livrait ses secrets comme des images d'un ancien temps, des courtes séquences d'un film muet. Et petit à petit, le puzzle se reconstituait. Petit à petit les battements de coeur se mettaient à battre à l'unisson.

Djaniah avait instinctivement porté la main à son cou pour venir attraper son pendentif. Alors, ce bijou lui venait d'Axel? C'était lui qui lui avait donné? Et pourquoi? Pour venir sceller un lien magique? Un lien familial? Il possédait le même. Axel et elle étaient là, devant un océan de question, la sensation d'être si proche du but et pourtant de le rater. Le but? La vérité. La vérité pure. La vérité nue. La compréhension. Pourquoi, comment, depuis quand, avec qui... Et ce sentiment sourd au creux de la poitrine de la sorcière. Cette exclamation du corps. Qu'était-ce? De l'amour? Quel amour? L'élémentaire de l'eau ondula, parcourut alors de reflets colorés sans que Djaniah n'ait rien fait de particulier. Les émotions. Intéressantes à étudier. Intéressantes à observer. Car c'étaient bien les émotions qui faisaient soudain se colorer l'eau élémentaire.

Tout à coup Axel sembla chanceler. Djaniah sentit son sang ne faire qu'un tour. Mais il se rattrapa et se remit debout.

Je crois que...

Elle ne termina pas sa phrase. En fait, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle souhaitait dire. Bien entendu, elle non plus ne comprenait pas. Mais peut-être...

Peut-être n'est-ce pas nécessaire... finit-elle par murmurer en fermant les yeux.

Elle ramena la sphère élémentaire vers elle et la fit disparaitre d'un geste. Elle franchit les quelques mètres qui la séparaient encore d'Axel. Elle s'approcha jusqu'à se trouver si près de lui qu'elle pouvait sentir son souffle sur son visage. Elle posa la question qui lui brûlait les lèvres :

Est-ce que si je vous touche, vous allez à nouveau vous évanouir? Est-ce moi? ... Je ne veux pas...

Elle approcha son visage jusqu'à le poser délicatement sur son torse et resta ainsi. Elle voulait sentir enfin son contact, savoir si elle reconnaîtrait son odeur, si des souvenirs ré-émergeraient, si... Elle ferma les yeux pour apprécier ce moment sans plus réfléchir.

Axel ne bougea pas quand Djaniah vint se poser sur son torse. La frontière entre le professeur et l’élève avait disparu, mais elle reviendrait. Plus tard. Comme toujours, ce bref contact sembla une éternité où se mêlaient émotions et impressions floutées, comme en chacun de ses souvenirs. Et pendant cette étrange communion, quelque chose d’inattendu se passa, quelque chose qu’Axel n’avait vu que dans les livres. Alors que quelques secondes plus tôt, le calme plat régnait, une brise se leva et parcourut leurs visages. Puis c’est un tourbillon de feuilles et de brindilles qui les enveloppa. Le plus étrange dans l’histoire, c’est qu’Axel sentit, pour la deuxième fois de sa vie, que cela venait de lui. Nul doute qu’il avait bien plus à découvrir sur lui qu’il ne pouvait l’imaginer. Puis tout cessa bien vite. Axel écarta doucement Djaniah de sa poitrine, pour saisir dans sa paume le pendentif accroché à son coup. Il le maintenait ainsi visible pour son élève pendant tout son discours.

J’ai toujours su que ce pendentif était enchanté, et je n’ai jamais découvert son pouvoir. Très tôt, j’ai senti qu’il avait quelque chose à m’apprendre, alors que je découvrais seulement que la magie existait. Si j’ai tant étudié les enchantements, c’est en grande partie pour le découvrir. Et pourtant, aujourd’hui encore, j’ignore tout de lui, je n’ai jamais réussi à décrypter sa magie. Je n’aurais jamais pensé que c’est une élève qui me mettrait sur la voie.

Et avec une certaine énergie, Axel se leva et fit quelques pas vers la forêt.

Vous avez parfaitement raison, miss Lebrec. Rien n’est nécessaire. Nous savons vous et moi ce qu’il en est. J’irais à Brocéliande le temps venu. D’ici là, il semblerait que nous ayons du temps à rattraper, ou plutôt… à retrouver. Ce soir, et ce soir seulement, je ne suis plus votre professeur. Profitons-en.

Axel alors se transforma, comme il aimait tant le faire. En loup au pelage gris, comme la cendre, il avança vers la forêt, puis se retourna, indiquant par là qu’il attendait qu’on le suive. C’est en loup qu’Axel exprimait le mieux ce qu’il avait à dire, à croire que l’homme ne savait plus comment communiquer. Il n’était plus temps de pleurer : dans ce souvenir, l’enfant jouait avec son loup, et riait beaucoup. Pourquoi serait-ce différent aujourd’hui ?

Axel disparut sous les branches des arbres. Il essayait d’emprunter un chemin accessible à l’homme, mais ce n’était pas toujours évident dans cette forêt. C’est pourquoi il voyageait toujours ainsi. Plus résistant et plus endurant, il pouvait se faufiler n’importe où. De temps en temps, il s’arrêtait et regarder derrière lui, pour vérifier que son élève le suivait. Si elle n’arrivait pas, il faisait demi-tour et la retrouvait marchant difficilement sur les racines. Il cherchait alors un autre passage pour atteindre l’endroit qu’il cherchait. Dix minutes plus tard, il pénétrait la petite clairière, avec les pierres et la souche d’arbre. Axel se retransforma.

Quand j’étais à Poudlard, je venais ici avec mes amis. C’est là que j’ai passé pas mal de nuits. On s’entraînait ici aux sorts que l’on n’apprend pas à l’école. L’endroit est plus loin du château qu’on ne peut le penser, mais c’est encore loin du cœur de la forêt et des créatures qui y vivent. C’est sans danger et sans bruit, l’endroit idéal. Je l’ai enchanté quand j’avais 16 ans, et… disons que ce n’est pas si mauvais ! Alors dîtes-moi, miss Lebrec, d’où vous vient ce talent pour l’élémentalisme de l’eau ? Il faudra que je devienne votre élève de temps en temps si je veux progresser, j’en ai peur.

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