I need help, please call me an Elf ! [PV Xandrin]

Le désespoir gagnait peu à peu Eric, à mesure que les journées de travail s’accumulaient depuis maintenant plusieurs semaines. Ses premières craintes se justifiaient de jour en jour, et son éternel « je vais tout rater » était devenue un adage qui lui correspondait parfaitement.
Car en ce moment, il ratait tout. Vraiment tout.
Outre le fait qu’il n’avait encore rendu aucun rapport sur son travail -pour la simple et bonne raison qu’il passait plus de temps à essayer de réparer ses bêtises qu’à travailler- il avait entre autre brisé une demi-douzaine de plumes, renversé presque autant d’encrier, avait faillit brûler la réserve de parchemin, et il était persuadé d’avoir tué un rongeur d’un coup de baguette magique -et comme il ne trouva pas la satanée bestiole, sa conviction s’affirmait de jour en jour. Bref, il se demandait à présent si un emploi au Ministère était vraiment abordable et raisonnable de sa part, et ces interrogations persistait depuis le moment même où il avait demandé à travailler.
Sa maladresse était d’autant plus active lorsque la patronne –Miss Snake, Directrice et fournisseuse de salaire ultra mignonne de son état- se trouvait dans les parages. Elle ne l’avait sûrement –évidemment, volontairement ?- pas remarqué, mais, lui, sentait toujours ses effluves de parfum à des mètres à la ronde, et ses mains se mettaient alors à inverser droite et gauche, haut et bas.
Il se remémorait souvent l’histoire de Quasimodo et Esmeralda en pensant à elle. Il pourrait sonner les cloches jour et nuit pour elle, elle lui sourirait et partirait avec Soleil, quoi qu’il fasse. Ce manque traditionnel de confiance en lui ne faisait qu’augmenter à mesure qu’il la voyait, précisant de jour en jour la beauté de la jeune femme. Dommage que je sois si mauvais en matière de magie. Même en trichant, je ne gagnerais pas.
Il avait tenté de préparer du Felix Felicis lui-même –car niveau finances, c’est Beyrouth- mais les résultats ne furent pas à la hauteur de ses espoirs –il fit alors goûter la mixture à un crapaud et celui-ci sombra dans un profond coma d’où il n’était pas encore sortit, refroidissant ses ardeurs de chimiste.
Et Eric pourrait toujours sonner et resonner les cloches, seules les gargouilles aux rires hideux lui tiendraient compagnie.

Bref, l’humeur d’Eric n’était pas au beau fixe en ce moment, et il se surprenait souvent à penser à l’alcool, pour se détendre et oublier pendant quelques heures toute sa détresse, dont personne ne semblait se rendre compte. Même s’il s’était juré de ne jamais boire –ou alors pour des occasions spéciales à petite dose- il se doutait que si il ne trouvait pas moyen de se débarrasser de sa mélancolie, il en viendrait à la poutre et à la corde.
Parce qu’il y a des limites au silence et au malheur.

Le désespoir continuait de gagner Eric. Il sentait, à chaque bourde qu’il commentait, son quota de patience, son énergie et son enthousiasme diminuer, au point de réduire à zéro ses capacités magiques déjà singulièrement atteintes. Debout au milieu d’une salle dont il ignorait le réel fonctionnement, il observa d’un oeil vitreux la chaise qu’il venait de réduire en miettes d’un coup de baguette –c’est Accio, le sort qui rapproche les objets, finalement
- et se demanda si tous ces dégâts ne serraient pas déduit de son salaire.
Sa fiche de paie arriverait alors en négatif.
Maintenant que sa baguette n’en faisait qu’à sa tête, il hésitait à s’en servir pour nettoyer ses dégâts –même s’il était devenu un expert en Recurvite. Il pourrait faire exploser la pièce d’un mouvement maladroit.
Autant faire venir quelqu’un qui saura nettoyer sans mon aide.
Il savait que des elfes officiaient dans le Ministère et se tenaient prêts à aider les employés, en cas de nécessité. Aussi pensa-t-il que les petits êtres seraient apparus au moindre éclat brisé qui aurait touché le sol, et donc que l’un d’entre eux se serait déjà montré, vu que la chaise était à présent répandue sur toute la surface de la pièce.
Mais rien ne se passa, aucune apparition.
Il doivent me regarder avec leur magie, et bien se marrer. Un sorcier même pas capable de remettre une bête chaise en état.
Eric ignorait presque tout des elfes de maison –à vrai dire, il n’en avait rencontré qu’un seul dans sa vie, et il ressemblait alors plus à une minuscule réplique d’être humain qu’à l’image qu’il avait des serviteurs des sorciers- et ignorait comment ils fonctionnaient.
Il se remémora la scène, la dernière scène, qu’il avait vécu avec son père, Augustus. Le vieil homme avait alors simplement appelé son elfe par son nom, et celui-ci était entré dans la salle aussitôt. Mais cela fonctionnerait-il avec des murs en pierre épais d’il ne savait combien de centimètres ?
Sachant qu’essayer ne lui coûterait pas plus qu’un peu de ridicule en plus, il appela :

«Xandrin ! »

Lorsqu’il se rendit compte qu’il n’avait pas appelé un elfe mais bien Xandrin -un elfe qu’il avait rencontré dix ans plus tôt et qui pouvait aussi bien se trouver actuellement au Japon- il entendit un petit pop ! derrière lui. Etonné que l’on réponde à cet appel, il se retourna.

Comme l’après-midi venait à peine d’être entamée, et que par conséquent il était loin du grand tumulte ménager de la nuit, Xandrin ne travaillait -pour l’instant- pas. Il était allongé sur une petite couche, les bras derrière la nuque, dans la petite chambre de même pas deux mètres sur deux que le Ministère lui avait gracieusement allouée.
Il était pourtant prêt à aller faire sa corvée dès que les employés auraient quitté les lieux. Habillé de la même tunique modeste, mais néanmoins élégante, qu’il arborait avec plus de coquetterie que ses congénères, sa peau grise parcheminée était relevée par des couleurs bleus clairs qui lui donnait un air joyeux incroyablement hypocrite.
Il était de renommée elfique que Xandrin était tout sauf joyeux.
Xandrin attendait, n’ayant d’autre loisir que penser. Penser à l’avant, triste et merveilleux, au présent, désespérant, et à l’avenir, utopique. Penser à Augustus, à sa misérable condition, et à ses plans d’avenir, si avenir il y avait.

Songeant à tout ce qu’il avait perdu et tout ce qu’il aurait pu avoir, son cœur se gonfla de tristesse. Il aurait pu avoir tant, lui, le seul elfe avec une intelligence conséquente. Xandrin et Augustus, dominant la bêtise des hommes, soulevant une nouvelle ère, une nouvelle culture, malgré l’obscurantisme des sorciers.
Augustus mort, ses rêves étaient brisés il y a dix ans. Jusqu’à ce que le petit-fils reprenne le flambeau. Oui, une dernière chance.

Un appel vint couper son sourire malicieux qui s’était dessiné sur son visage.
Xandrin ? On l’appelait ?
Pas possible ça ! Même quand je me repose, il faut qu’un de ces incapables de sorciers m’appelle ! Et ils se prétendent supérieurs. Ah ! Augustus, mon ami, pardonne-moi, mais ton espèce est une des plus détestable de cette foutue planète !
Accomplissant, bougon, sa tâche d’esclave, il disparut dans un pop ! bruyant.

Lorsqu’il réapparut, ce fut dans la pièce où se trouvait la personne qu’il l’avait appelé. Pierre, froid, poussière. Département des Mystères de toute évidence. [i]

Quoi ? [i]demanda-t-il d’une voix railleuse.

Puis, se souvenant de la précarité de son contrat, il se reprit :

Oui, Monsieur, que puis-je pour vous ?

L’homme s’était retourné. Il paraissait vieux et fatigué. Xandrin avait l’impression de reconnaître ce regard plein de mélancolie, ce corps neurasthénique. Mais sa mémoire était aussi vieille que lacunaire, aussi restât-il stoïque, bien que suspicieux.

La créature était moche.
Un tel bilan résumait à la fois la superficialité d’Eric et une vérité non dite. L’elfe de maison, bien que plus beau que la plupart des êtres de son espèce, était loin d’égaler les traits humains, les parodiant en une imitation de vieillard dérangeante. Un visage pointu, des œil énormes et gris, des tempes argentées, un crane ridé et un petit nez. Le domestique semblait vieux, sage et la dureté de son regard lui donnait un faux air de sévérité.
On dirait Papa, avec des oreilles pointues et un mètre de moins, songea Eric.
Il lui semblait aussi reconnaître des traits de Xandrin, du vrai. Même si le temps et la solitude avait sérieusement altéré sa mémoire, Eric savait que cet elfe avait une ressemblance avec le domestique de son père. Mais en même temps, tous les elfes de maison se ressemblent.
Eric s’apprêter à s’excuser de l’avoir dérangé, il y avait eu un petit accident imprévu, etc. –ce qui aurait sans nul doute étonné l’elfe- mais une question restait insoluble dans l’esprit d’Eric : pourquoi avait-il répondu au nom de Xandrin ?

-Heum… Hellooo… petite créature.

Il va me trucider.

-Je… J’ai détruit la… chaise.

Il va me la faire avaler par le…

-Euh… Bon, pas fais exprès. Et… mis à part ça, j’ai une question, s’il te –vous ?- plait… Pourquoi as-tu… transplané quand j’ai appelé Xandrin ?

Les bras branlants, Eric observa l’elfe. Il remarquât que la créature arrivait presque à sa hauteur -il manquait une bonne cinquantaine de centimètres, mais tout de même !-. Il avait l’impression de s’adresser à un enfant –particulièrement moche- qu’il soupçonnait d’avoir commis une bêtise.

« Danger public, songea Xandrin au tréfonds de son esprit. Il n’a pas essayé de détruire la chaise, c’est sûr, il suffit de voir son allure pataude. Et on laisse ces gens utiliser la magie. Des fous. Simplement des fous.
Ou des crétins. Un peu (beaucoup) des deux. »

« Petite créature». Meurs.

D’un mouvement du poignet, Xandrin remit en état la chaise, bien qu’elle fut sérieusement endommagé par l’autre empoté. Il n’eut recours à rien d’autre que sa pensée, ne disant mot, n’utilisant aucun artefact. Il songeait à tous ces sorciers même pas capables de faire apparaître une petite étincelle sans l’utilisation de leur baguette.

-C’est réparé, Monsieur.

Xandrin s’étonna que le sorcier lui demande pourquoi il n’avait pas répondu à l’appel de son nom. Quand on vous appelle, généralement, vous venez. C’était pas plus compliqué que ça.
L’elfe tenta de formuler mentalement une réponse qui ne serait pas vexante –bien que l’envie de lancer une réplique cassante dont il avait le secret le tentait beaucoup.

-J’ai répondu à votre appel car vous avez prononcé mon nom, Xandrin, Monsieur.

Un petit accent de raillerie pointa néanmoins dans sa voix.

L’étonnement était devenu palpable, et Eric se demandait si Xandrin (car c’était bien Xandrin, bon dieu !) s’en rendait compte.
Il avait là l’elfe de maison particulier de feu Augustus, l’elfe qui avait vécu avec son père pendant les dernières années de sa vie, années sombres et ténébreuses pour Eric, car il en ignorait les tenants et aboutissants. Il n’avait eu que des bribes, de par Augustus : un demi-frère caché, une nouvelle épouse, une autre famille, autrement meilleure que l’ancienne, le Grimoire (que soit maudit ce livre, Julian en était presque à me tuer à cause de ce machin) et beaucoup de secrets et de regrets. Du moins l’espérait-il.
Il avait devant lui le compagnon d’Augustus (Augustus qui travaillait d’ailleurs autrefois au Ministère), Xandrin, l’elfe étrange qu’il avait cherché avec moins d’ardeur qu’il ne l’avait espéré. Il s’était juré d’accomplir les dernières volontés d’Augustus (avec dix ans de retard, certes, mais…) et il avait réellement traîné.
Le destin allait-il réparer son erreur ?

-Xandrin ? C’est… c’est réellement toi ?

Vous ? Papa avait-il suffisamment de respect pour son elfe pour le vouvoyer ?

-L’elfe de maison d’Augustus ?

Mon Dieu. Il n’y aurait jamais cru. Retrouver l’elfe après tant d’années (et surtout encore vivant !) Il était sans doute le seul être au monde à pouvoir lui apporter des informations sur Augustus.

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