Voyage vers les limbes d'un passé incertain [PV]

Après avoir repris connaissance et s’être assuré que miss Lebrec était bien prise en compte, le tout grâce à une volonté de fer et une résistance à toute épreuve, Axel se sentait épuisé. Il avait pris congé pour se retirer dans ses quartiers, une chambre qu’il gardait lorsqu’il dormait à Poudlard. La tête en feu, titubant presque à cause de ses vertiges, le jeune professeur allait de plus en plus mal. N’importe qui aurait demandé l’aide de quelqu’un, mais Axel avait sa fierté, et acceptait l’aide difficilement. Fier et solitaire, quel panache ! Après avoir atteint difficilement atteint la porte qui menait à son appartement de fonction, Axel ouvrit la porte, et celle-ci à peine refermée, il s’écroula sur le sol, une nouvelle fois inconscient. D’étranges choses s’agitaient en son corps. Provoqués par d’étranges évènements. Mais la suite était encore plus inhabituelle.

Une fois encore, Axel se retrouva dans le noir complet. Cette fois-ci, il n’eut pas de peine à revoir au loin une ouverture lumineuse, et il sentait déjà son corps, comme si celui-ci était déjà habitué. Les quelques voix étaient présentes, et beaucoup plus claires. Si claires qu’Axel entendait même les paroles de la chanson qu’il avait entendu, de cette douce voix cristalline, une voix de femme, une voix splendide… Si distinctement qu’Axel put les répéter à voix basse, à moins qu’il ne les connaisse déjà.

Avel, avelig c’houezit ‘ta, al lann ‘n emgann ha d’an daoulamm kanit buan son ar frankiz deomp-ni.

En prononçant ces mots en même temps que la voix qu’il entendait, Axel s’étonnait lui-même… Il y avait depuis peu des mystères qui, au lieu de se résoudre, se succédaient et devenaient chacun de plus en plus étranges. Rapidement, Axel atteint le point lumineux, et put cette fois sans mal le traverser. Et au-delà, c’est comme si on entrait dans un rêve. Axel était dans une forêt, il ne savait où, sans reconnaître rien. La chanson devenait de plus en plus claire et proche. Il marcha quelques instants pour se rapprocher de l’endroit, pour se rapprocher du son. Au tournant d’un arbre, il tomba sur une maison de campagne, tout à fait charmante. A travers la fenêtre ouverte sur le côté gauche de la maison, il pouvait apercevoir une femme. Une très belle femme, brune, avec une crinière étrangement connue. Elle chantait pour un bébé dans ses bras, le berçant de sa voix, et celui-ci petit à petit s’endormait. C’était un véritable enchantement, mieux que toute magie, mieux que toutes les capacités qu’Axel pouvait avoir. C’était comme si… comme si…

« Tu ne reconnais rien, n’est-ce pas ? »

Axel sursauta et se retourna violemment. S’attendant à trouver quelqu’un derrière lui, il regarda sans comprendre, car personne ne se tenait là. Jusqu’à ce qu’il baisse les yeux sur... un loup.

Euh… Oula, ta tête a du cogner très fort contre le sol, toi !

« Pas le moins du monde. »
Vous lisez dans mes pensées ?
« Comme dans un livre ouvert… »
Qui êtes-vous ?
« Mais tu le sais très bien. »

Axel eut sans doute un visage pour le moins expressif. Typiquement dans le genre : « hein ???? ». Mais s’efforçant de ne pas penser, ce qui est difficile, il essaya de reprendre la conversation comme si de rien était.

Où suis-je ?
« Quelque part à l’intérieur de toi. »
C’est vous qui m’avez emmené, pas vrai ?

Nan, mais je rêve ! Je parle à un loup ! Les loups ne parlent pas ! Réveilles-toi bon sang ! Souffle un coup et c’est bon !

« C’est finis ce cinéma ? »
Euh, oui, pardon…
« Ce n’est pas moi qui t’ait emmené ici. Et non, je ne suis pas un loup. Les loups ne parlent pas, voyons. Je suis bien différent. Car je suis toi. »

Le pauvre Axel se retrouvait subitement dans une situation des plus délicates. Prêt à se dire fou, il avait heureusement une raison là pour rattraper le tout. Il regarda le loup, d’un regard perçant, afin d’essayer de comprendre qui il était vraiment. Et d’un seul coup, il tourna les talons, et se dirigea vers la plaine qui s’étendait devant la maison.

« Voyons, Maêl, ou peut-être devrais-je t’appeler Axel désormais. Je suis sûr que tu as compris. La raison de tes mots de tête en face de mademoiselle Djaniah Lebrec, la raison de tes vertiges, ton attirance incompréhensible vers elle, tes pouvoirs d’animagi, cette chanson et cette femme qui l’a chante, et que tu connais. Et je sais qu’au fond de toi, tu sais qui je suis. C’est pour ça que tu es venu. »

Axel s’arrêta net, dès que son prénom fut prononcé. C’est vrai qu’en parlant, il avait beaucoup réfléchit, et ce loup le savait. Il avait fait des conclusions qui lui paraissaient aberrantes, mais peut-être ne l’était-ce pas vraiment… Il se retourna, étrangement très sérieux.

Ce sont mes souvenirs, c’est ça ? Mon enfance ? Et miss Lebrec y est lié d’une façon que j’ignore ? Et cette femme… C’est ma mère.

Dans les quartiers du professeur Kalyll, alors que celui-ci retrouvait les limbes de son passé, par une force soudaine, son corps se transformait. Petit à petit, il perdait sa forme humaine et devenait un loup, mais un loup beaucoup plus clair qu’il ne l’était avant. Une cendre claire de bois sec et bien brûlé prenait la place de cette couleur terne et noire du charbon. Un gris à la fois sombre et brillant, celui d’un peuple bien connu, le peuple des kalylls. Après quelques minutes, Axel fut entièrement transformé. Et le loup qu’il était devenu ouvrit des yeux bleus très différents des pupilles ordinaires du jeune homme. Il se leva alors d’un mouvement léger, lévitant presque, et d’un bond, sauta par la fenêtre, pourtant située assez haut dans les étages. Il faisait nuit au dehors, depuis un temps déjà, et le château était silencieux. Qui put voir la forme qui devenait presque argentée à cause des reflets de la Lune planer tranquillement vers la forêt ?

Axel, de son côté, avait vu le décor changer brusquement. Il se retrouvait dans une grande salle, comme dans une sorte de manoir. Beaucoup de monde était là, et le loup avait disparu. Axel repensait alors à ce qu’il avait dit quelques instants plus tôt. « Je suis toi avait-il dit. Aussi incertain que ce soit, Axel semblait ne pas être un homme, mais un loup. Mais il n’y avait pas de doute à avoir pourtant, il était bel et bien humain. Un simple sorcier animagus. Mais c’était presque grotesque. Axel regarda autour de lui. Tous étaient tournés vers le même endroit, et regardaient quelque chose avec un intérêt particulier. Il décida donc d’approcher, comprenant qu’il n’avait pas été envoyé ici pour rien. Etait-ce un autre souvenir ? Etait-ce un évènement de sa vie qui lui apporterait de nouvelles réponses ? Axel n’en savait rien, pour tout dire…

C’est à ce moment là qu’un très petit garçon de cinq, peut-être six ans, dans ces eaux là, le bouscula en avançant avec précipitation. Naturellement, le garçon n’avait rien senti, mais Axel si, et s’intéressa particulièrement au petit. Il le suivit dans la foule, se faufilant derrière gamin qui avançait bien trop vite pour lui.

Bien sûr, c’est facile, quand on fait trois pommes !

Une fois parvenu au centre de l’attention, Axel remarqua avec étonnement un berceau. Le garçon était penché par-dessus, aidé par un grand homme qui riait de bon cœur. Axel s’approcha pour pouvoir voir d’avantages, et se plaça donc en face du berceau pour voir le garçon et le bébé. Avec les conseils de l’homme qui le portait, le gamin tenait, à bout de bras et de façon hésitante, quelque chose dans ses mains. Axel ne pouvait pas vraiment voir ce que c’était, mais lorsque le garçon redescendit, il avait l’air parfaitement aux anges. C’est seulement là qu’il put détailler de plus près le fameux objet, et qu’il découvrit avec surprise un simple pendentif. Puis plus rien. Ce fut la dernière vision du jeune homme, car quelques instants plus tard, il ouvrait péniblement les yeux. La surprise fut alors totale, car il était allongé sur un rocher au bord du lac, au plein milieu de la forêt interdite. Au loin, le château formait une masse sombre et imposante, et Axel n’avait aucune idée du comment il était attiré ici. Comme toujours, un mystère en cache un autre, et il était loin d’avoir, cette nuit là, tout découvert.

Djaniah s’était à peine remise de l’entrevue avec le professeur Kallyl. L’état dans dans lequel elle avait été était tout à fait alarmant. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir vécu des événements dangereux, mais là elle n’avait pas pu réagir autrement qu’en paniquant. Une serdaigle emplie d’effroi, de panique et de culpabilité, voilà qui était des plus déroutants! Heureusement que son parrain était intervenu, passant par hasard, le hasard y était-il vraiment pour quelque chose? Au fur et à mesure que les années se succédaient et que les choses se mettaient en place dans sa vie, la jeune héritière commençait à croire de moins en moins au hasard. Bien au contraire, il apparaissait que chaque élément, le plus insignifiant soit-il, était en fait lié aux autres, lié à l’origine, lié au nom. Lebrec. Un nom qui était synonyme de tant de choses. Un nom parfois rejeté, parfois convoité, parfois aimé. En tout cas, pour tous ceux qui le connaissaient, ce nom avait toujours une signification particulière. Et pour elle, la petite princesse comme l’appelait Murmure? Elle avait commencé par aimer ce nom aussi naïvement que tout enfant aime son nom, puis par le détester et le rejeter comme le font souvent les adolescents avec une vie mouvementé et pleine de responsabilité présentes et à venir, et enfin elle l’avait accepté. Elle apprenait désormais à le redécouvrir et à se l’approprier. Une héritière se doit de prendre des décisions calmes et réfléchies, d’agir en mesurant les conséquences, d’aimer son prochain, de connaître le maximum de choses pour être la meilleure reine que possible. Mais avec sa réaction de tout à l’heure, Djaniah était bouleversée et perdue dans ses pensées. Glenn l’avait amené à l’infirmerie pour qu’elle prenne un calmant. Elle était d’ailleurs toujours sous ses effets, même si ceux-ci devenaient bien atténués. Ce qui la rendait très triste maintenant, c’est qu’elle doutait affreusement de pouvoir faire face à la situation de gouverner. Elle qui s’était toujours cru extrêmement rationnelle et froide en toute situation, elle se découvrait petite fille paniquée au chevet d’une situation inexplicable. Dans ces conditions, comment pourrait-elle prendre la tête de la Bretagne?

Elle frissona et ferma jusqu’en haut son gilet, sous sa cape. Elle était en train de marcher depuis plus d’une heure dans les méandres des couloirs de Poudlard. Ses chaussures ne faisaient aucun bruit et sa cape ondulait légèrement au rytme de ses pas. L’insigne de préfèterie brillait lorsque les bougies s’allumaient à son passage ou alors que le clair de lune la caressait au travers d’une fenêtre sans rideau. Une heure et personne. C’était rare qu’aucun élève ne se ballade ou qu’aucun professeur ne se déplace. De même, elle n’avait vu aucun autre préfet. Encore moins Jimy Raven. Pourtant, c’était bien lui qu’elle aurait aimé apercevoir ce soir où elle était oscillante entre larmes et colères, entre réflexion et désespoir. C’était justement parce qu’elle se sentait dans cet état d’entre-deux avec un penchant négatif, qu’elle ne cessait de marcher. En principe la ronde des préfets ne dépassait pas les 23h, mais là elle devenait une bonne excuse pour marcher et ruminer. Enfin, non l’objectif n’était pas de ruminer mais au contraire de faire le point. En allant se coucher, elle savait qu’elle n’arriverait pas à se tranquilliser ni à trouver les réponses à ses questions. C’est pourquoi elle marchait en silence, dans le froid et l’absence d’humains.

"Si sautillant d’arbres et arbres, de branches en branches,

Le petit feufollet vous entraîne dans sa ballade,

Tendez-lui un peu de lait et de pain en tranches

Pour qu’il soit heureux et ne vous rende pas malade.

Feufollet, Feufollet, aime perdre les gens

Petit enfant en perdra ses dents!

Feufollet, Feufollet prenez garde

Et ne le suivez pas par mégarde!"

Cette comptine pour petits lui revenait en mémoire. Chaque enfant breton avait du l’entendre car tous les parents faisaient attention à ce que ces créatures n’emmènent pas leurs enfants se perdre dans Brocéliande. Oh, non pas qu’ils soient méchants, mais les êtres magiques n’ont pas les mêmes normes que les êtres humains. Ils ne se définissent pas comme méchants ou gentils dans une vision dichotomique du monde. Ils sont hors de nos conceptions, hors de nos façon de penser et d’être. Il fallait se méfier d’eux. Pourtant, Djaniah comme beaucoup avait été fascinée par ces boules de feu si belles et si lumineuses. Combien de fois avait-elle rêvé d’en suivre une et de la rencontrer, de l’apprivoiser? Un peu nostalgique à cette pensée, elle se dirigea vers la fenêtre la plus près et l’ouvrit. Il faisait bien froit dehors. Elle regarda le ciel où les étoiles brillaient de ça et là de la voûte céleste. Elle regardait et rien de bougeait.

Enfin, rien ne bougea jusqu’au moment où quelque chose de vraiment inhabituel se manifesta. De prime abord, elle crut que c’était un effet secondaire de son médicament. Mais même un puissant calmant ne donnait pas d’hallucination. Ou alors c’était l’effet de sa fatigue, de son humeur, peut-être perdait-elle la tête? Elle resta quelques secondes à réfléchir. Puis elle pensa que peut-être c’était vrai et dangereux. Elle était non seulement préfète, mais elle faisait partie de l’AD. Si jamais quelque chose d’anormal se passait elle avait le devoir d’agir. Elle faillit s’élancer dans le couloir pour descendre l’escalier et sortir, mais non seulement elle risquait de se faire prendre, mais en plus elle perdrait la trace du loup volant.

ACIO ECLAIR DE FEU

Le balais arriva rapidement. La fenêtre déjà ouverte, elle l’enfourcha et décolla tout aussi rapidement. Elle aurait peut-être du prévenir quelqu’un au chateau. Non elle n’avait pas le temps. De toute façon elle ferait attention et au pire son élément la protègerait. Elle comptait aussi sur Sharko qui était dans le coin et qui sentirait sa présence et l’utilisation de magie élémentaire. Décidée donc, elle suivit de loin le point qui lévitait. Le loup se dirigeait vers la forêt interdite, c’était plutôt mauvais signe. Etait-ce un vrai loup, un loup-garou ou un animagi? Dans la forêt, il faisait si sombre qu’il fallait que la jeune sorcière se rapproche davantage pour ne pas perdre sa trace. Ce fut peine perdue, elle fut semée tout à coup, entre deux troncs massifs et quelques cris d’animaux perçants. Que faire? Rebrousser chemin? Hors de question, elle devait chercher un peu encore. Survolant avec attention ce lieu interdit, elle prétait oreille à tous les bruits qui pourraient l’informer. Tout à coup, près du lac, sur un rocher, elle vit le professeur Kallyl allongé et inconscient. Elle plongea et attérit près de lui. Quelque chose, depuis le début la chauffait, la brulait. Elle avait pensé que son état émotionnel l’avait rendue en sueur. Mais ce n’était pas ça. Un point précis la brulait affreusement. Et ce point était sous ses vêtements, caché au regard de tous.

En observant la masse sombre du château endormis, Axel, toujours allongé et à peine éveillé, remarqua une forme étrange arriver sur lui. Il n’arrivait pas à discerner ce que c’était, et comme à son habitude dans son genre de cas, son cerveau prit le relai en attrapant sa baguette magique. La forme sortait de la forêt interdite, mais il y avait un bout du lac à traverser pour atteindre le rocher sur lequel restait le professeur. Enfin, lorsqu’un rayon de lune perça les nuages, il put voir que cette forme n’était autre qu’une femme, une femme sur un balais arrivant à pleine vitesse, une femme d’ailleurs qui…

Axel se redressa subitement, alors que la jeune fille atterrissait. Il l’avait reconnu dès qu’elle fut assez près. Et le fait que c’était la deuxième fois en une journée qu’ils se retrouvaient dans une situation insolite inquiéta le professeur de métamorphose. Sa réaction fut donc tout à fait spontanée.

Miss Lebrec, que faîtes-vous ici ? Et toi mon cher Axel, qu’est que tu fais là aussi, hein ? Il me semble que, comme son nom l’indique, cette forêt est interdite aux élèves. Et vu l’heure, ça l’est encore plus, même pour une préfète.

Des remontrances ! Lui qui n’avait jamais respecté cette interdiction, il ne pouvait que comprendre pourquoi les élèves appréciaient tant la transgresser. Car cette forêt était enchanteresse, et dévoilait un charme, un mystère, qui pouvait attiser la curiosité de n’importe quel adolescent en proie à de nouvelles découvertes. La question qui se posait le plus n’était en fait pas ce que faisait Djaniah Lebrec en pleine nuit ici, mais plutôt pourquoi elle était apparue à ce moment là. Cela avait-il un lien avec son rêve ? Si on pouvait appeler ça un rêve, bien sûr. Car c’était quelque chose de bien différent, comme si Axel le vivait vraiment. Il n’avait pas ce flou de la mémoire après le réveil, qui fait qu’on ne se souvient pas très bien de notre rêve ou de seulement quelques passages. Non, il était capable de tout revoir, d’avoir un souvenir intact de ce qu’il avait vu, comme si ça s’était réellement passé. Et puis, un mot lui revint en mémoire, et toute la discussion avec… avec ce loup également. Il se souvint ce qu’il avait pensé, et ce qu’il avait conclu.

Des souvenirs…

C’était là la clé de tous ses songes. Pour la première fois de sa vie, Axel avait vu son enfance, et peut-être plus encore. L’arrivé de miss Lebrec ne faisait que confirmer ses hypothèses, et il comprit que quelque chose devait avoir lieu ce soir, quelque chose d’inévitable qui avait sans doute attendu bien trop longtemps. Et ceci avait quelque chose à voir avec miss Lebrec.

Bon, vu le lieu et l’heure, il ne serait pas avisé de vouloir vous punir. Je vais être franc avec vous, miss Lebrec. Je ne crois pas au destin. Mais peut-être y avait-il dans notre rencontre aujourd’hui une nécessité quelconque qui devait engendrer une scène, un acte, ou une simple saynète.

C’est à moi de le faire, n’est-ce pas ?

Axel se serait presque attendu à une réponse. Mais après tout, il avait la réponse. Il savait ce qu’il fallait faire, sans vraiment savoir comment, mais il était sûr que cela viendrait tout seul.

J’espère que vous allez mieux que tout à l’heure, miss Lebrec. Des épreuves nous attendent et je pourrais parier que la nuit sera très longues…

Donnez-moi la main, miss Lebrec.

Axel tendit alors sa main gauche à son élève. En l’avançant, il sentit une chaleur presque étouffante. Et il ne put s’empêcher de le remarquer, avec une once d’inquiétude dans la voix.

Quelque chose ne va pas ? Je sens votre chaleur d’ici… écrasante.

Sans sentir que petit à petit, il émanait de lui quelque chose de plus en plus froid : un objet d’argent qu’il gardait dans sa poche depuis sa plus tendre enfance prenait une énergie monstrueuse et refroidissait vite tout ce qu’il y avait autour..

Djaniah avait attérit auprès de son professeur de sortilège et métamorphose. Il était allongé et semblait encore dans le flou. D'un rapide coup d'oeil elle avait évalué les dangers rôdants aux alentours. Beaucoup de bruits parvenaient à leurs oeilles, le vent dans les feuillages, des coups de branches les unes contre les autres, des piétinements aussi. Mais rien qui ne paraisse danger imminent. Aucune silhouette humaine se semblait se détacher dans le décors. Pas de centaures. Pas de mangemorts apparemment. A moitié rassurée, la préfète se pencha vers M. Kalyll et focalisa son attention sur son état, bien que sa main droite soit restée posée sur sa baguette au cas où. Par chance, l'homme qui n'était que de quelques années son aîné se redressa vite et vu sa façon de la réprimander de prime abord, il avait tous ses esprits. La préfète ne put s'empêcher de rire en regardant la mine sévère de son professeur si particulier.

Très sincèrement professeur je n'étais pas en train de faire une ballade de santé ou une agréable promenade! Mais si vous aviez un loup volant à cette heure-ci, préfet ou professeur, n'auriez-vous pas été voir ce qu'il se passait? Et je crois que le fait de vous avoir trouvé inconscient justifie ma démarche, non?

Bon d'accord, de là à vouloir des compliments, je vais un peu loin. Il faudrait que mon ego et mon sarcasme se calment, je suis quand même face à un professeur qui pourrait très bien me coller des punitions... Tout doux princesse on assagit ses ardeurs!

Non, ce que je veux dire Monsieur, c'est que je n'avais pas le temps de prévenir qui que ce soit et que je voulais juste m'assurer qu'il ne se passait rien de grave. Cela fait partie de mes attributions de préfète. J'ai pris cette décision sachant pertinament les risques qu'elle sous-tendait.

Voilà qui est mieux, plus réfléchi, plus responsable, plus mature et surtout moins prétentieux! Parfois je me demande comment j'ai pu attérir chez les Serdaigles! Enfin, il n'est pas l'heure de trop cogiter...

Fort heureusement pour Djaniah, son professeur n'avait que faire de la punir. Le moment était bien plus significatif pour eux deux. Et elle était d'accord, quelque chose d'étrange les unissait pour une mystérieuse raison. Quelle était la nature de leur lien? Axel Kalyll avait beau de pas croire au Destin, il fallait pourtant lui accorder le bénéfice du doute! En cette année décisive pour Djaniah, celle où Brocéliande l'avait fait officiellement Héritière légitime de Bretagne, elle avait perdue sa grand-mère paternelle, elle avait retrouvée son petit frère, elle avait retrouvée la magie de Brocéliande dans ses veines, elle avait découvert la magie élémentaire et la fonction de sa bague, rencontré l'étrange Murmure, et maintenant ce professeur qui venait juste de débarquer à Poudlard se révélant important dans sa destinée. Comment ne pas croire au Destin? Tout s'était mis en place lentement jusqu'à ce que cette année les éléments soient précipités et bouleversés. Alors qu'on appelle cela le Destin, la fatalité, le grand livre, ou n'importe quoi d'autre on en revenait au même. Tout se mettait en place. Et c'en devenait effrayant de constater que peu de choses tenaient réellement à soi. Quand était-il de ses propres décisions, de ses propres choix? Tout était-il vraiment écrit quelque part inaccessible? Accepter une telle idée donnait des nausées à la jeune fille. Le concevoir signifiait perdre toute envie de vivre. Car à quoi bon vivre dans une vie qui ne nous appartient pas? A quoi bon effectuer sagement le schéma inscrit sur une page mystique, sans posséder de libre arbitre? Privée de cette liberté là, la princesse mourrait sans doute de désespoir.

Professeur, j'aimerai ne pas croire au Destin mais il y a eu tellement de choses qui semblent démontrer le contraire! Mais ce que je sais c'est que vous ne m'êtes pas inconnu. Quelque part dans ma tête ou dans mon coeur ou dans mes veines, votre présence y trouve une résonnance, sans que je ne perçoive encore les échos qu'elle me murmure. Je ne comprend pas encore pourquoi je me sens si mélancolique avec vous et à la fois si attirée, comme si je voulais rattraper quelque chose. Rattraper quelque chose...

Sa voix se perdit dans le silence. Son regard se perdit dans le flou de la réflexion. Tout à coup elle revint à elle, à lui. Sa main lui était tendue et Djaniah en perdit toute contenance. Peut-être que la vision d'un mangemort en tutu rose dans le ballet du Lac des Cygnes ne lui aurait pas fait plus d'effet... Elle sentit son coeur se mettre à battre très vite et la chaleur la submerger. Qu'était-il en train de se passer? Le coup de foudre au sens propre du terme? Une réaction chimique? La... magie? Des larmes perlaient à ses yeux.

Ca ne va pas non ça ne va pas...

La jeune sorcière avait l'impression de devenir une torche vivante et de gonfler comme une boule, devenant de plus en plus scintillante. De plus en plus. Jusqu'à l'explosion inévitable. Oh c'était sans doute seulement une impression, en tout cas il fallait l'espérer. Elle se jeta en avant et s'accrocha de ses deux mains à celle d'Axel. Elle sentait que cette main était la dernière chose qui la maintiendrait la tête hors de l'eau si elle devait perdre conscience ou vivre quelque chose de dangereux. Sa poitrine la brûlait affreusement. Djaniah ne pouvait détacher son regard de l'endroit d'où lui venait cette brûlure. Sous son pull Serdaigle, sous son tee-shirt règlementaire un objet retrouvait toute sa force et prenait vie. Les tissus devinrent rouge. Rouge feu. Ils étaient en train de se dissoudre sous la chaleur du pendentif luminescent. Même la peau reculait à cause du feu.

*Une petite fille coure à quatre patte après quelque chose, je ne sais pas si c'est humain ou animal. Je n'arrive pas à voir. Mais elle rit, c'est une enfant heureuse qui s'amuse. Quel âge a-t-elle? Deux ans, pas trois. Elle s'exclame "MA! MA! MA!" et elle rit. Elle retombe sur ses fesses. C'est moi.

Et là, c'est toujours moi, dans une robe à fleur. Je suis sur le perron de notre manoir en Bretagne. J'ai très mal au coeur. Je sanglote. Je hurle véritablement. "MA MA MA MA MA!!!" Je ne m'arrête plus. Qu'est-ce que j'appelle? Maman? Ma mère me prend dans ses bras, je sens son odeur de vanille. Je me débats, je ne veux pas être dans ses bras. Je veux qu'elle me repose, je veux rattraper. Et je crie "MA! MA! MA!". Je me sens déchirée en deux. Et j'ai chaud, si chaud. J'ai l'impression de devenir... une boule de feu!*

Axel... Je...

Dès que leurs mains se touchèrent, Axel sentit son cœur se geler. C’était comme mourir, une mort brutale et effroyable. Dans sa poche, contre sa poitrine, le pendentif qu’il avait gardé à vie hurlait à la mort. Après un long silence, il ne pouvait que le faire. Le flou se fit autour du professeur, la forêt, le lac, le rocher, tout disparaissait peu à peu dans un brouillard indécis. Il entendait ça et là des voix inconnues qu’il ne pouvait comprendre, des ébauches de dialogues, des cris, un fouillis incessant qui s’amplifiait chaque seconde. Puis plus rien. Le noir complet, le silence total. Il sentait encore contre lui la présence de miss Lebrec, mais il ne voyait rien. Petit à petit, cependant, un nouveau décor se dessina, qui avait quelques airs de familiarités. Au bout de quelques instants, le flou avait complètement disparu, et il se trouvait par terre avec à ses côtés miss Lebrec. La salle où ils se trouvaient était presque entièrement dénudée et faite de pierres sombres. On aurait pu l’assimiler à une vieille geôle de prison, mais en beaucoup plus grand et plus confortable.

Axel se releva doucement, observateur, puis aida son élève à faire de même. Sur les murs, quelques tableaux ornaient tant bien que mal la pièce. Dans un coin, un fauteuil vieilli rouge et une table faisaient office de seuls meubles, excepté le tapis rapiécé sur lequel ils avaient atterri. Axel observa chaque coin de la salle, ses pas le portant seuls vers les quelques objets présents. Touchant les murs, puis le fauteuil, les tableaux, Axel sentait que cette pièce ne lui était pas inconnu, mais il ne pouvait dire pourquoi.

Aouch, ne put-il s’empêcher de crier après un mouvement trop brusque vers un tableau qui avait provoqué une douleur intense sur le côté gauche de sa poitrine.

Je connais cet endroit, dit-il à l’adresse de son élève, qui devait se poser pas mal de questions, tout en massant l’endroit où la douleur s’était révélée. J’ai déjà vu cette pièce mais… Non, ce n’est tout de même pas... Mmh, plus rien ne peut plus m’étonner. Je crois qu’on est dans un de mes rêves. Un rêve que j’ai fait quelques fois. Oui… Parfois assez récurent, mais je n’ai jamais pu le finir. Je… Je suis assis là, continua-t-il en désignant le fauteuil, et je… Je joue de cette flute, un air que je connais sans savoir d’où il vient. Attrapant la flute, Axel poursuivit sa réflexion en se remémorant la scène. Normalement, bientôt, je devrais entendre des cris, des appelles à l’aide. A chaque fois je me précipite, mais la porte est fermée à clef, et impossible de l’enfoncer. Je n’ai ni baguettes, ni de quoi l’ouvrir à la moldu. Et subitement, les cris s’arrêtent et je me réveille. Oui… C’est comme ça que ça se passe. Mais pourquoi sommes-nous ici ?

Axel réfléchit alors et chercha une quelconque corrélation possible. Il lui en vint tellement qu’il abandonna vite la situation et préféra faire le tour de la salle. Subitement, les fameux cris se firent entendre, les cris d’une jeune fille qui a besoin d’une aide d’urgence. Axel eut une poussée d’excitation en l’entendant. Il avait vu juste, et peut-être que cette fois, il pourrait aller au bout de ce rêve inachevé.

Je ne sais pas ce que nous faisons ici, miss Lebrec, je ne sais pas pourquoi nous y sommes, mais une chose est sûre, c’est que je pourrai peut-être voir cette fois-ci la fin de ce cauchemar récurrent qui m’a fait me réveiller trop de fois au milieu de la nuit.

Axel se dirigea alors vers la porte, la seule issue, persuadée que cette fois-ci, il pourrait l’ouvrir et aller au bout. Pourquoi être ici si ce n’était pas le cas ? Il attrapa donc à pleine main et fut accablé lorsque la résistance de la serrure s’opposa à lui.

Naturellement, murmura-t-il dans un soupir de déception.

Il était donc toujours impossible de l’ouvrir. Axel ne voyait donc pas comment il pourrait connaître la suite de ce rêve qui était infini, éternel. Il espérait au moins comprendre derrière cette porte ce qui l’avait amené ici avec miss Lebrec, mais rien à faire, la porte restait bloquée et c’était la seule issue. Mais peut-être y avait-il un moyen pour l’ouvrir ? Ou bien cela n’était pas nécessaire, et la clef se trouvait ailleurs. Pourquoi pas là, juste derrière lui ?

Le feu avait comme enflammé son corps. Après avoir eu les deux visions, la remontée des deux souvenirs, tout se brouilla. La Djaniah enfant devint entrecoupée de blanc, comme une image télé brouillée sous les yeux de la Djaniah presque majeure.

L'environnement breton se mit à tourner puis à disparaître. La teinte qui prit le pas sur les images ne fut pas le noir d'encre accompagnant généralement les pertes de conscience. Ce fut un orangé virant au rouge, puis le feu chauffant il passa au bleu presque transparent. Tout devenait de cette couleur uniforme et vibrante, une couleur ne laissant plus de place aux formes réelles -quoi que parler de réel dans ce contexte soit peut-être un peu illusoire-. La sorcière cherchait à voir autour d'elle ou même se voir elle-même. Impossible de s'apercevoir. Elle ne réussissait d'ailleurs plus à se sentir à l'intérieur de son corps. Etrange de se sentir libéré de la barrière de sa peau, sans limite physique pour s'empêcher de briser les lois de la pesenteur. Une tête donc, enfin l'intérieur de la tête donc et ... rien?

Si, autre chose. Je sens une chose, une sensation.

Dans tout ce feu, la seule sensation que percevait la jeune sorcière était agréablement fraîche. Même si elle ne pouvait pas voir d'où provenait l'impression de fraîcheur, Djaniah savait pertinamment d'où elle venait. Elle ne voyait pas son corps, ne le sentait pas, à l'exception d'une seule partie.

Sa main entre les miennes...

Rien ne pouvait prouver que cela venait de sa main mais Djaniah en était absolument certaine. Il est des choses que l'on pressent sans pouvoir l'appuyer sur aucune preuve concrète mais qui sont vécues comme parfaitement sûres. Celle là en faisait partie. L'Héritière n'avait alors plus qu'une envie : s'approcher des mains et ressentir plus fort encore le frai de leur union. C'est ce qu'elle fit, avançant invisible vers le point invisible lui aussi. Au fur et à mesure qu'elle s'en approchait, la lumière changeait, devenant plus sombre. Bien plus sombre...

Un nouveau décors, très bien... Voyons voir ce que cela nous réserve.

Elle prenait les choses avec une nouvelle sérénité. Les sens aux aguets, elle attendait le prochain acte de cette curieuse pièce. Et comme tout acte, il commencerait par un noir théâtral. Le noir donc arriva.

NOIR.

Lorsqu'elle recouvrit la vue, elle était allongée non loin de son professeur. Ils se trouvaient dans une pièce qui ne lui rapelait rien, au contraire d'Axel. Très sobre cette pièce, un peu froid même aurait-on pu dire.

Et bien, je crois, professeur Kallyl que nous sommes ici pour une bonne raison. Peut-être allons-nous maintenant aller plus loin et réussir ce que vous avez toujours échoué dans le rêve. Poursuivre au delà du réveil... Et faire... Faire quoi? Nous ne le savons pas encore. Dans un premier temps, occupons-nous de trouver la clé. C'est un peu comme dans toutes les histoires, nous débutons face à une porte dont la clé nous est inconnue et l'aventure se trouve derrière. Les réponses à nos questions, et ces réponses entraînant encore d'autres nouvelles questions et ce, presque sans fin. Je ne sais pas ce que nous réserve la suite, mais attelons-nous à notre premier défi, notre première difficulté la clé. La clé.

Le professeur venait de retrouver son élève méthodique et réfléchie.

A première vue, il n'y a rien dans la pièce qui puisse contenir une clé. A moins d'éventrer le fauteuil et les tableaux au cas où elle aurait été dissimulée à l'intérieur? Euh, je ne pense pas que ce soit une bonne idée!

Djaniah se mit à rire en s'imaginant joyeusement saccager la pièce en cherchant avec Axel. Elle croisa son regard et en constatant qu'il la fixait, elle se mit à rougir. Bien vite la jeune fille écarta la thèse qu'elle faisait chavirer son ténébreux professeur. Ce qu'il regardait avec insistance n'était pas son joli minois, pas sa poitrine, mais juste au-dessus. Son pendantif. Instinctivement, elle y porta la main pour le toucher. Ses doigts rencontrèrent sa chaleur ronronnante. Tout se bousculait dans sa tête pour essayer de comprendre le lien entre Axel, ce bijou et elle. Depuis le début il réagissait fortement. Quand l'avait-elle reçu? Aussi loin qu'elle se souvienne, elle l'avait toujours porté, jamais quitté ne serait-ce la nuit ou pour se laver. Elle releva ses yeux pour se confronter à nouveau à ceux d'Axel et une idée lui traversa l'esprit.

Vous pensez que la clé est peut-être sur moi, c'est ça? Mon pendantif? Il vous rappelle quelque chose? Est-ce que je me trompe?

Son élève avait beau analyser la situation avec beaucoup de pertinence, Axel ne put écouter un traître mot de ce qu’elle lui disait. Toute son attention portait sur un bijou autour du cou de miss Lebrec, un pendentif qu’il connaissait bien, très bien même. Le flux de ces pensées fut comme l’incessant flot de paroles que déversait sur lui la jeune demoiselle, éternel. Ces pensées vagabondaient dans les méandres d’un passé obscure et de l’unique chose qui rattachait le professeur à ces instants oubliés. Presque envouté par cet objet magique, il avança lentement vers son élève. L’absence se lisait dans ses yeux, l’absence de l’esprit face à tant d’enchantement. Dès qu’il fut assez prêt pour sentir le souffle chaud de la jeune Serdaigle, le professeur tendit la main et attrapa l’objet, qu’il fixa encore quelques instants avant de relever les yeux vers la préfète.

Où avez-vous trouvé ça ?

Sa voix était pleine d’incompréhension et de questionnement. Faible et hésitante, mais à la fois dure et désireuse d’avoir une réponse. Axel lâcha s le bijou de son élève, et sa main plongea dans la poche de sa veste. Et du bout des doigts, il le sentit, glacial, présent, et loin du cou de miss Lebrec. Deux pendentifs pour une même destinée. Axel le sorti délicatement de sa veste pour l’observer de près, et constata qu’il ne s’était pas trompé : ils étaient parfaitement identique. Un léger murmure s’échappa de ses lèvres, naturel et spontané.

Je ne comprends pas…

Et pour parfaire l’ambiance étrange qui se mettait en place, un cliquetis se fit entendre derrière lui, rapidement suivis du grincement des gonds d’une porte qui s’ouvre. Ceci eut le mérite de briser le contact entre miss Lebrec et lui, et le professeur s’en retourna vigoureusement devant cette porte désormais ouverte. Un sourcil relevé à l’extrême - ce qui donnait au professeur un certain aspect de folie - le regard à nouveau attentif et le mouvement vif des lèvres inférieures ne pouvaient mentir : l’esprit d’Axel Kalyll était revenu. Il se détourna du pendentif et de son élève pour étudier de plus près l’étrange phénomène. Rien ne laissait présager qu’il y avait une quelconque normalité dans ce qu’il se passait, et Axel jugea qu’après tout, ils n’étaient plus à une bizarrerie près.

Bon. Et bien, il n’y a plus qu’à y aller, maintenant que le problème est résolu.

Le jeune homme s’engouffra donc dans le néant obscur qui s’était ouvert à lui, plongeant dans un inconnu peut-être dangereux. Pendant quelques instants, il resta dans un noir complet, qui ne l’empêcha pas d’avancer. Puis, après avoir avancé de quelques pas, il s’aperçut qu’il était en fait dans un long couloir sans fenêtre et sans autre lumière qu’un rayonnement bleuté qui s’échappait des murs. Il n’avait jamais vu cet endroit, que ce soit dans ses rêves ou dans le monde réel. Avancer d’incompréhension en incompréhension n’était pas chose aisée.

Ne restez pas en arrière, miss Lebrec , dit le jeune professeur à l’intention de son élève restée derrière lui. Etait-ce par un souci de protection de la jeune demoiselle ou un effet de la peur qui nous faisait chercher refuge dans la moindre compagnie ? Quoi qu’il en soit, l’avancée dans l’unique couloir semblait se rapprocher du but, les cris continuaient et croissaient en intensité à chaque pas. Jusqu’à un moment brutal qui changea la donne.

Par un effet magique tout à fait inconnu, le couloir infini où ils avançaient se retourna complètement, opérant une vrille qui eut pour simple effet de mettre le plafond au niveau du planché, et les jeunes gens par terre. C’eut put être comique si l’évènement ne s’était pas reproduit, suffisamment pour que le professeur se croit simple objet dans un tonneau dévalant une pente. L’effet ne se stabilisa pas tout de suite, et quand enfin le couloir cessa son jeu puéril, Axel eut la nette impression d’avoir perdu quelques os dans la bataille.

Par la barbe de Merlin, on ne me reprendra pas deux fois à aller dans un couloir inconnu dans un océan de bizarrerie ! Et encore moins sans baguette ! Tout va bien ? demanda-t-il à la préfète en lui tendant une main. C’est la première fois que je vais devoir avouer une telle chose, mais tout ceci me dépasse.

Le plus étrange dans ceci était l’absence soudaine des hurlements qui se faisait quelques instants plus tôt de plus en plus intense. Le silence qui lui avait succédé n’en fut que plus oppressant. Axel se tourna vers l’immensité du couloir à l’horizon, et bien que son dos crie à l’infamie, il ne restait qu’une solution pour lui.

Et bien, je crois que maintenant que nous sommes là, il ne reste plus qu’à continuer.

Où est-ce que j'ai trouvé mon pendentif?

Djaniah fut surprise par cette question tant la réponse lui paraissait d'une évidence aberrante. Mais plutôt que de répondre avec un air bête voire méprisant, de rire ou de s'offusquer, elle prit le parti de réfléchir. Bien sûr c'était évident pour elle, mais enfin comment pourrait-il l'être pour lui.

Aussi loin que je me souvienne j'ai toujours porté ce pendentif Professeur. C'est...

Et la préfète s'interrompi brusquement. Elle avait commencé sa phrase avec assurance, avec simplicité prête à dire qui lui avait donné lorsque ce fut le noir des souvenirs. Qui lui avait offert? En fait, elle ne s'était jamais vraiment posé la question. Elle portait ceci depuis toujours, ne l'ôtant jamais comme une partie d'elle-même en métal. Pourtant, l'interrogation n'était pas idiote. Etait-ce son père, sa mère, ses grands-parents, son parrain, quelqu'un d'autre? Impossible de répondre.

Je... C'est étrange que vous posiez la question. Je ne sais pas. Je l'ai depuis toujours mais je ne sais de qui spécialement il me vient.

Un bruit grinçant stoppa leur échange. Aussi étonnant que cela pouvait paraître, la porte s'ouvrait toute seule.

Pas besoin de trouver une clé? Et personne derrière?

Non il n'y avait apparemment besoin d'aucune clé ni d'aucune formule magique. La porte était peut-être seulement capricieuse et avait décidé que c'était maintenant le moment pour elle de s'ouvrir. Il ne fallait pas perdre de temps, des fois qu'elle veuille se refermer de façon impromptue. Le professeur Kallyl s'avança en premier pour la franchir. La préfète le suivit à distance raisonnable. Tout ceci était étrange mais elle n'était pas assaillie par l'inquiétude. Son travail d'élémentaliste et le rituel de Samhain lui avaient apporté une grande sérénité. Elle savait que quoi qu'il arrive elle ne serait jamais vraiment seul. Son élémentaire vivait en elle et les autres apprentis pouvaient ressentir sa présence et le danger. Son calme fut quelque peu malmené par le couloir qui se mit à vriller. Encore un lieu capricieux se prit à penser l'élève. Au prix de plusieurs douleurs au cou et aux genoux, le mouvement prit fin dans un noir. Il n'y avait plus aucun bruit. Djaniah se releva avec précaution, aidée par Axel Kallyl.

Avançons, de toute façon il n'y a pas d'autre chemin que tout droit alors nous verrons bien... murmura-t-elle, attentive à tout autre initiative de mouvement.

Restant légèrement en retrait par rapport à lui, ils avancèrent doucement, se demandant sur quoi ils tomberaient encore. Pas de signe de vie. Pas de signe de vie?

BOUMBOUMBOUMBOUM

Djaniah sursauta. Ils venaient tous deux de passer devant ce qui se révélait une porte. Et quelqu'un tambourinait derrière.

Professeur! Il y a quelqu'un! Il faut l'aider à sortir! s'écria Djaniah.

Par malchance, elle n'avait plus non plus sa baguette. Donc, en prenant un peu d'élan et sans vraiment y croire elle essaya d'enfoncer la porte de l'épaule. Pourtant elle ne sentit aucune résistance. Ce fut comme si la porte avait été faite d'air et qu'un simple sort d'illusion lui donnait une matière visible. Elle s'étala par terre le souffle coupé.

Par Merlin mais ce n'est pas possible cet endroit! Qu'est-ce que c'est que ça??!

Restée assise, elle avança sa main pour palper l'illusion. Elle s'aperçu avec horreur qu'elle touchait du bois. Du bois? Elle se releva brusquement, le coeur battant la chamade pour se mettre à tambouriner et appeler à l'aide. La porte était fermée, la pièce sombre mais pas noire. La panique était totale. Elle tambourina plusieurs minutes avant de cesser, comprenant que cela ne servirait à rien. Elle s'arrêta, les mains écorchées et le corps tremblant. Il fallait qu'elle se calme. Elle ne pourrait pas raisonner sinon. En s'arrêtant, elle entendit encore tambouriner, là, juste devant elle. Quelqu'un tambourinait. Quelqu'un? Pas vraiment, elle ne voyait rien, personne. Mais le son de quelqu'un tambourinant sur cette porte continuait. Elle recula de plusieurs pas. Y avait-il quelqu'un d'invisible? Ce n'était pas possible l'invisibilité n'enlevait pas la matérialité! Un fantôme? Il lui serait apparut! De façon tout à fait incompréhensible, le son perdurait. Djaniah chercha du regard à discerner quelque chose dans la pièce. Mais il n'y avait absolument rien. Une pièce vide. Debout, décontenancée, elle attendit que ses yeux s'habituent davantage à la pénombre qui régnait. Doucement un autre bruit se fit entendre, s'ajoutant au tambourinement : des pleurs d'enfant. Ses sens les situaient dans le coin gauche, mais encore une fois, elle ne voyait rien du tout. Oscillant entre peur et courage elle s'avança vers la direction, main tendue. En approchant l'intensité des pleurs augmentaient mais rien, rien de palpable. Des pleurs en continuent, invariables, comme le tambourinement. Et puis ce fut au tour du bruit de quelqu'un qui court de se faire percevoir. Traversant la pièce de part en part. La jeune fille commençaient à sentir son calme s'évanouir. Encore un son et elle deviendrait folle, elle en était certaine. Malheureusement, un autre son s'ajouta à tout cet ensemble, un cri plutôt.

MA!!! MA!!! MA!!! MA!!!

Cet appel traversa Djaniah avec force. Il se répercuta en elle comme un élément connu mais oublié. Elle se mit à pleurer. Elle était tout à coup emplie d'une émotion extrême de désespoir. Ce désespoir que l'on ressent lorsqu'on est abandonné. Elle se sentait seule et vulnérable, prête à la folie ou à la mort. Et le tout, rythmé par le tambourinement, les pleurs qui se mêlaient aux siens comme un écho enfantin, la course et les cris déchirant. Elle était déchirée, c'était exactement le bon mot. Déchirée d'une partie d'elle-même. Il ne lui restait plus que son pendentif comme trace de celui qui n'était plus. Combien de temps pleura-t-elle, recroquevillée par terre dans le tohu-bohu de la pièce... ? Soudain, elle sentit qu'on la secouait. Les yeux plein de larmes elle redressa la tête. Elle était dans le couloir et la seule chose qu'elle pu discerner c'était le visage de son professeur. Sans savoir pourquoi elle se jeta dans ses bras. Elle n'était plus consciente.

Les évènements étranges se succédaient à une vitesse effroyable. Lorsque derrière lui, miss Lebrec poussa un cri plein de panique à son attention, Axel eut subitement une étrange sensation. Dès le « Professeur! » prononcé, il eut l’impression d’être mis dans un dimension à part, dans un lieu inconnu où tout ce qu'il pensait être n’était que le reflet d’un miroir. Il n’entendait presque pas la suite des paroles de son élève, comme si on l’avait soudainement placé sous l’eau et que ses tympans étaient noyés.

« Il y a quelqu'un! Il faut l'aider à sortir! »

Que dîtes-vous ? Je ne comprends pas !

Mais c’était sans espoir, et rien de ce que disait Axel ne pouvait être entendu. Bientôt, rien de ce qui se passait en dehors de son propre corps n’atteignit l’oreille du jeune professeur, et il s’ensuivit à cet effet inquiétant un autre des plus encore : tous ses sens, toutes ses pensées semblaient être brouillé par on ne sait quelle magie, si bien qu’Axel se retrouva seul, parfaitement seul, et son élève sortit même de son entendement. Le plus étrange était que, quand Axel se retourna, tout revint en un flot gigantesque qui perturberaient un mort. Dans cet espace du couloir qui s’offrait à lui, une faille s’était ouverte et il en sortait quelques milliers de songes qu’il ne reconnaissait pas, ou ne reconnaissait plus. D’abord, quelques papillons et autre bêtes des saisons chaudes apparurent autour de lui. Puis, quelques morceaux de verdures poussèrent ça et là, remplaçant les dalles et les pierres. Des visages, des corps, prirent place dans cette mise en scène, et très vite, le couloir avait totalement disparu face à ce paysage champêtre, et tout ce qui était arrivé à Axel jusqu’aux quelques secondes précédant cette scène sortit complètement de l’entendement du jeune homme. Il n’était plus lui, il était songe dans un théâtre des souvenirs, flottant au milieu de tous les moments de son enfance oublié qui s’étaient réunis en un même acte, une même scène, mêlant les personnages et les décors de mille autres pièces. Au milieu de cette immensité d’images et de couleurs, il en apparut une plus distinctement que les autres : c’était son rêve, c’était ce petit garçon se faufilant entre les adultes, c’était ce pendentif, c’était cette unique raison qui permettait d’expliquer ce qu’il se passait désormais, c’était un souvenir qui s’était perdu parmi tant d’autres.

Mais… pourquoi ? pensa Axel en voyant tout ce qui faisait de lui quelqu’un d’autre de ce qu’il avait toujours pensé être. Pourquoi toutes ces choses se sont-elles échappées de mon esprit ? Comment affirmer qui je suis ? Tout ce qui fait de moi celui que je suis aujourd’hui s’est-il donc enfoui si loin ? Non… Je… C’est impossible. Et pourtant vrai. Alors qui suis-je, par la barbe de Merlin, qui suis-je ?

Et comme pour lui répondre, un appel d’enfant, ce même enfant qui hurlait plus tôt, vint résonner au fond de lui.

« MA!!! MA!!! MA!!! MA!!! »

Cet appel fit place à un cri qui sonnait puissamment, c'était un être extérieur là pour sortir le professeur de ces songes qui l’avaient envahi. A chacun de ces cris, la scène des souvenirs s’émiettaient par les coins, puis se brisa totalement. Axel était à terre, dans ce couloir sans fin, et il avait en face de lui cette pauvre enfant qui l’avait si souvent appelé à l’aide, et qu’il n’avait jamais pu entendre. Il la secoua, et d’un mot dit tout ce qui rendait un ce qui était arrivé jusque là.

Ne pleure pas, Djaniah, je suis là a présent. Je suis revenu.

Son élève tomba inconsciente, et Axel dut la porter pour sortir de cet endroit où tout se mettait clairement en place. Les extrémités du couloir se rapprochèrent d’eux à grande vitesse. S’il ne représentait que le chemin à parcourir pour atteindre la vérité, celui-là n’était plus long du tout, car une porte se dessina juste devant eux. Axel s’approcha, l’enfant dans les bras, et une fois encore, la porte s’ouvrit d’elle-même pour lui faire place. Lorsqu’il la traversa, ce fut pour quitter le néant de l’inconnu et aller consciemment, tel un philosophe sortant d’une caverne, vers le soleil des vérités les plus absolues.

Ils arrivèrent dans un petit jardin, assez joliment fait et avec quelques parures qui pouvaient faire penser à une grande famille française. Elle était là, dans la maison, cette dame qui chantait avec tant de douceur lorsqu’Axel vint la première fois, parlant à d’autres adultes qui n’intéressaient guère le professeur. Car juste devant lui, une petite fille riait et s’amusait à courir après un louveteau qui lui tournait autour. Axel déposa avec délicatesse son élève toujours inconsciente sur un tapis d’herbe, puis se retourna vers ce qui semblait être un passé lointain et oublié. Une unique larme jaillit sur ses joues face à ce spectacle qui n’aurait jamais dû cesser. Pourquoi avait-il disparu de ce monde de bonheur ? Pourquoi avait-il abandonné cette pauvre enfant alors qu’ils étaient indissociables ?

Il se laissa alors tomber à terre pour regarder, songeur, ce qui avait été sa vie et ne l’était plus, ce qui avait été la vie d’une enfant qui n’avait pas mérité cette absence, et contempler, pour la première fois, qui il était vraiment, face à toutes les incompréhensions qui avaient rythmés sa vie, sa magie, ses espoirs.

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