Retour aux sources (pv Ethel Lawspirit)

Parmi toutes ces personnes aux divers soucis qui occupaient les trottoirs de la fameuse capitale, aucune ne semblait se distinguer des autres en se fiant seulement aux apparences. Certes, certains semblaient soucieux, heureux, perturbés, tristes, pensifs, mais tous mettaient un pied devant l'autre d'une manière régulière, suivant un rythme fixe qui était plus ou moins élevé dépendant du degré de précipitation de chacun.
Tous, en revanche, posaient un regard bref sur l'handicapé qu'ils croisaient; le seul qui sortait du lot. Pendant l'espace de quelques secondes, tous, sans exception, oubliaient ce qui les tourmentait et laissaient leur esprit se concentrer sur la malchance qui avait frappé le pauvre vieillard en chaise roulante.

La malchance...

S'il y avait un mot qui pouvait décrire la vie de Kendrick, la malchance serait probablement le plus juste. Chaque jour, chaque minute, depuis son accident sur cette montagne Suédoise quelques 46 ans plus tôt, ce mot l'a hanté. Jusqu'à ce qu'il se réveille enfin et qu'il réalise que la Terre tournait toujours, et que sa vie n'était pas terminée.

C'est donc ainsi qu'il se retrouva au milieu de la société, en plein centre de Londres, proche du bâtiment qui avait constitué la source de ses rêves défunts; le ministère de la magie. Quarante-six ans auparavant, le ministère représentait sa maison; il y passait le plus clair de ses journées, plongé dans ses recherches sur la magie si passionnantes. Aujourd'hui, il y retournait, ou du moins il s'en approchait, quelque peu changé.

Il avanca sa chaise roulante magique à travers la masse de gens qui détournaient du regard dès qu'ils l'apercevaient (pour ne pas qu'il se sente mal à l'aise, vous comprenez). Son oeil bleu clair et l'autre noisette s'attardaient sur chaque visage, chaque regard qui croisait son chemin, ayant oublié à quoi ressemblaient les gens normaux, ceux qui vivaient une vie normale dans une société normale. Il avait oublié le plaisir d'être mélangé aux autres, même s'il était quelque peu différent.

Il y avait une chose, néanmoins, qui le torturait. L'absence presque totale de magie pendant ces dernières décénnies l'avait rendu fou par moments, lui qui était si fasciné et addicté à la magie sous n'importe quelle forme. Maintenant qu'il en était si proche, il sentait une force inconnue lui déchirer la poitrine; l'envie de toucher à la magie de nouveau, l'envie d'être témoin de phénomènes que les moldus décriraient d'irréel. Et comme si une force supérieure l'avait entendu, un courant d'air froid le traversa, un courant d'air qui sentait la magie à plein nez. Une bouffée de bonheur réchauffa son coeur; la magie et lui étaient enfin réunis.

Invité

Les fantômes ne se privaient pas de traverser les murs, tous les sorciers le savaient, et personne ne trouvait à y redire. Ethel, fort de ses 895 années de non-vie, ne se privait pas non plus de traverser les vivants qu’il croisait, et ce même si ça faisait hurler tout le monde. Une lame glacée qui vous passe à travers le corps, ça n’est pas spécialement agréable – surtout qu’Ethel, lui, ressentait tout au plus une très légère source de chaleur.
Les cris de ses « victimes » n’arrêtaient absolument pas le fantôme, qui paraissait réfléchir en glissant de sa caractéristique démarche de fantôme dans la foule peu dense qu’il y avait à Londres ce jour-là. Il était vieux de tellement d’années, pâli par tant de siècles écoulés que lorsqu’il était en mouvement comme maintenant, son corps insaisissable en perdait ses contours. Flou. Comme une personne bougeant sur une photo moldu, exactement pareil. Quand il s’arrêtait, comme maintenant, le nez en l’air et l’expression pensive … On voyait bien tout l’âge qu’avait accumulé ce souvenir ambulant et doué de la parole, parce qu’il était transparent. Bien sûr, tous les fantômes l’étaient, transparents, tout autant qu’ils étaient capables de traverser les murs. Mais Ethel l’était particulièrement. Ça trahissait son âge, et ça ne le rendait que plus inquiétant.
Parce qu’il l’était, avec son allure maladivement maigre, ses vêtements de fantôme figés pour l’éternité sur sa carcasse famélique de charognard mal nourri. En 895 ans, ses yeux n’avaient jamais perdu leur expression vivace, mais ils étaient trop inquisiteurs pour être honnête. Il semblait considérer tout le monde comme une proie potentielle, c’est ce qui lui donnait tout son ascendant sur les gens … Et c’est aussi ce qui les faisaient fuir, principalement. Enfin quand ils n’étaient pas trop curieux de ce fantôme étrange et arrogant.
Après quelques minutes d’arrêt total en plein milieu du trottoir, Lawspirit reprit sa marche au hasard, tête baissée vers le sol et sourcils froncés de concentration. Il dépassa le vieil homme en chaise roulante magique sans même relever les yeux sur lui, s’avançant à un rythme parfaitement égal vers une destination tout aussi parfaitement inconnue, l’air très concentré. Sans relever les yeux, il fronça un peu plus les sourcils, et repartit sur ses pas – chose qui ne lui arrivait que très rarement.
Il se posta en face de Kendrick, son corps redevenant non plus une masse floue mais plus net, le considérant avec une certaine dose de curiosité dans le regard … La dose habituelle. Mais sans sourire. Ethel ne souriait pas.

« Bonjour … »

Lui ne se gênait pas pour regarder franchement l’handicapé qui lui faisait face. Sans méchanceté aucune, mais il le regardait, particulièrement fasciné par sa chaise roulante, semblait-il … Ou toute sa personne. Impossible à savoir précisément.

« Comment on vous appelle ? »

Le respect aux aînés, il n’avait jamais entendu parler, et puis fort de toutes ses années, il était très probable que ce soit toujours lui qu’on respecte, en fait.

Alors qu'il se laissait envahir par ce flux magique qui venait de réveiller ses sens si longtemps endormis, il chercha du regard l'origine de ce courant d'air froid. Ses souvenirs vieux d'une quarantaine, voire d'une cinquantaine, d'années refirent surface, aussi intacts que s'il avait étudié le sujet la veille. Tout d'abord, l'image de Poudlard fit irruption dans son esprit, puis celle du Moine Gras. Une ou deux fois, le fantôme de sa maison lui avait fait l'honneur de le traverser et de lui faire expérimenter l'étrange sensation glaciale qu'il venait de ressentir pour la première fois depuis un demi-siècle.

Il chercha la moindre déformation dans l'air qui l'entourait, à l'affût du moindre signe de la présence d'un fantôme. Bien sûr, la luminosité et le mouvement alentour n'aidaient pas à repérer quelque chose du genre, pourtant une silhouette se dessina tout à coup devant lui. Kendrick ordonna par la voix mentale à sa chaise magique de s'immobiliser, subjugué par ce qu'il venait d'apercevoir. Ses premiers pas dans sa nouvelle vie commencaient merveilleusement bien; il avait la chance de converser avec l'un des phénomènes magiques les plus intriguants et fascinants.

Le fantôme, vêtu de ses vêtements vieux de plusieurs siècles, très probablement, posa sur lui un regard vivant, différent de tous ceux qui s'étaient posés sur lui juste avant l'arrivée de l'être magique. Aucunement effrayé d'offenser le vieil handicapé, ce que Kendrick appréciait, il prit la parole d'un air toujours aussi sérieux, ou inexpressif; l'imprécision de ses traits rendaient la question difficile.

Bonjour à vous. Je vous remercie de m'accorder l'honneur de vous adresser la parole. Cela doit bien faire un demi-siècle que j'ai rencontré un fantôme!

Un mince sourire s'étira sur le coin de ses lèvres. Cela faisait bien longtemps que ses yeux avaient pétillé ainsi.

Oh mais bien sûr, un demi-siècle, pour vous, ce n'est rien, où avais-je la tête! Néanmoins, vous êtes parfaitement conscient que pour nous autres, êtres humains banals, ca représente une très longue période.

On m'appelle Kendrick Piers, si je me souviens bien. Quant à vous, comment vous appelle-t-on?

Et si je puis me permettre, qu'est-ce qu'un fantôme fait dans les parages? J'aimerais croire que le Destin vous a fait venir ici exprès pour que je vous rencontre, mais ce serait un peu prétentieux de ma part de croire cela...

Un autre sourire, toujours aussi mince, éclaira son visage; à ce moment précis, il était heureux.

Invité

Ethel avait vécu beaucoup de choses, qu’il ne racontait pas souvent, et dont il ne se rappelait pas les trois quarts. Mais de toute sa vie et sa non-vie, jamais il n’avait rendu heureux quelqu’un. Son caractère n’était pas vraiment tourné vers les blagues et autres remontages de moral intempestifs, non. Ethel était un méticuleux, un pointilleux, un élitiste puant de prétention bref, quelqu’un de pas très fréquentable, ou alors seulement en le croisant derrière trois rangées de livres, dans une obscure bibliothèque. Et s’il y avait quelque chose qui plaisait énormément à Ethel, c’était de faire de nouvelles expériences. Sitôt décryptée l’expression arborée par le vieil homme qui lui faisait face, le fantôme replia ses longues jambes maigres contre son torse, flottant dans les airs, se penchant vers lui avec une mine de charognard intéressé, sa langue sans couleur passant rapidement sur ses lèvres pâles. Son froncement de sourcils avait disparu, et il eut un léger acquiescement approuvant Kendrick. Ce qui était aussi rare que ses demi-tours, le vieil homme attisait fortement la curiosité d’Ethel, décidément.

« C’est exact. Je m’appelle Ethel Lawspirit. »

Un fantôme qui faisait figure de légende. Celui qui était présent depuis des temps immémoriaux, qui avait dévoilé quelques secrets fulgurants, d’un air désintéressé. Avait ruiné des dynasties, renversé parfois des ministères, et était reparti calmement, intouchable et ne s’intéressant pas aux sorciers eux-mêmes, mais à leurs secrets, ce qui était bien différent. Il regarda autour de lui, comme l’air de se demander ce qu’il faisait là au juste, et haussa légèrement des épaules, son corps se faisant à nouveau fugacement flou.

« J’ai pour habitude de ne pas rester dans un même endroit. En général les fantômes résident à Poudlard, mais ce n’est pas mon cas, je ne suis pas vraiment sédentaire. »

Il fronça des sourcils en constatant le flot de foule qui continuait de défiler, les entourant. Ethel aurait eu tort d’être claustrophobe, ou agoraphobe, ç’aurait été une chose parfaitement idiote pour un fantôme. Ce n’était pas pour autant qu’il appréciait les trop grandes foules quand il s’intéressait à quelqu’un en particulier.

« Ecartons-nous vers là, voulez-vous ? »

Sans attendre la réponse, Lawspirit traversa de nouveau les gens, un bruit de protestations s’élevant dans son sillage sans qu’il y prête attention. Il s’arrêta dans un rencognement entre deux immeubles, satisfait de cet emplacement plus calme, scrutant les environs, et attendant que Kendrick le rejoigne.

Ethel Lawpsirit... Un nom original pour un fantôme original. Les quelques souvenirs qui osaient frôler le vieil esprit de Kendrick lui indiquaient un comportement de la part des fantômes bien différent de celui-ci... Mais c'était exactement ce qui intriguait Kendrick. Histoire de confirmer son unicité, il affirma ne pas être sédentaire, contrairement aux fantômes "normaux". En somme, Kendrick et Ethel étaient similaires dans un sens; tous deux étaient différents des autres au sein de leur propre espèce.

Le fantôme lui proposa de s'écarter de cette foule, puis il partit sans attendre une réponse. Kendrick sourit; peu importe ce qu'il faisait, l'être magique le fascinait. A mesure qu'Ethel traversait chaque personne qui se trouvait sur son chemin, des grimaces fusaient de toutes parts. Kendrick se mit à sa suite, zigzaguant entre les piétons qui acceptaient de le laisser passer, tout en admirant les prouesses de la magie qui prenaient place devant lui.

Ciel que ca m'avait manqué...

Une fois arrivé à la hauteur d'Ethel, qui était devenu légèrement plus visible au milieu de cette obscurité alentour, il s'immobilisa et plongea son regard dans celui du fantôme, tentant d'apercevoir son âme à travers ses yeux.

Dîtes-moi Mr Lawspirit, sans vouloir paraître indiscret, combien de siècles comptez-vous?

Il plissa les yeux, accordant sa pleine attention au fantôme qui flottait devant lui. Jamais aurait-il cru faire une rencontre aussi palpitante aussi tôt; Kendrick avait envie de rigoler, il se sentait revenir à la vie.

Invité

Ethel aussi paraissait parfaitement fasciné par le vieil homme. Habituellement, il agaçait profondément les vivants, parce qu’il se posait en une sorte de professeur éthéré qui détestait donner des réponses autres que très évasives aux questions qu’on lui posait. Il jouait de cet agacement d’ailleurs, pour les pousser dans leurs derniers retranchements, et réussir à obtenir ce qu’il voulait ; en général des secrets. Plus ils étaient inavouables et surtout inavoués, mieux c’était. Ce qu’il en faisait ensuite dépendait des circonstances, de l’humeur du fantôme, et peut-être même du sens du vent. Lui seul en avait l’entière décision, aucun chantage ni aucune proposition de marché ne marchait sur lui. Lawspirit n’aimait pas traiter avec les humains, même s’il vivait parmi eux.
Ses yeux effilés presque cachés sous sa tignasse blanche ébouriffée s’étrécirent un peu plus en scrutant le visage du vieil homme qui lui faisait face, et il inclina son visage de côté, passant lentement le plat de la main sur sa joue dans un geste mécanique. Il n’arrivait pas à se souvenir depuis quand un vivant l’avait intéressé à ce point-là.

« J’ai bientôt neuf siècles. »

Le poids des ans se lisait dans les traits éthérés et presque constamment flous du fantôme. Mais pas encore assez, il avait toujours sa silhouette de jeune homme, son éternelle minceur de garçon grandi trop vite et qui ne mangeait pas assez. Il se pencha en avant vers Kendrick, presque jusqu’à le traverser, le regard planté dans le sien.

« Et vous, quel âge avez-vous ? Que vous est-il arrivé ? »

Il n’eut pas la politesse de préciser qu’il ne voulait pas la réponse si c’était indiscret. Ce n’était absolument pas dans ses habitudes, et il n’avait aucune volonté de les changer pour préserver la sensibilité d’un vieil infirme ; les années l’avaient rendu plus insensible qu’il ne l’était déjà.

Le fantôme ne dégageait pas l'aura de quelqu'un de sympathique; au contraire, on pouvait sentir son côté antipathique et froid. Néanmoins, en compagnie du vieil infirme, même s'il n'était pas avenant, il n'était pas désagréable pour autant. C'est pourquoi Kendrick ne trouva sa question aucunement offensante; une lueur de reconnaissance brilla même dans les yeux du vieux mage. Le fantôme faisait preuve d'aucune gêne, traitant son interlocuteur comme n'importe quel autre sorcier qu'il avait rencontré au cours de ses neuf siècles d'existence.

Neuf siècles... Jusqu'où la magie peut-elle aller? Quelle erreur ai-je fait de m'éloigner ainsi du monde magique pendant toutes ces années... Rien que penser à toutes les découvertes que j'aurais pu effectuer me serre le coeur...

Mais Ethel l'aidait à se remettre dans le droit chemin, à lui redonner goût à la vie, et juste pour ca, il le remerciait déjà de tout son coeur.

Je me sens si vieux, et pourtant je ne suis qu'un môme comparé à vous. J'ai 71 ans.

Quant à votre deuxième question, eh bien c'est arrivé tout bêtement. Je vous épargne les détails, ce serait trop long, mais une situation toute bête a condamné ma vie à jamais dans cette magnifique chaise roulante. Un vil serpent a surgi de derrière un rocher pendant que j'"escaladais" une montagne. Pris par surprise, j'ai basculé vers l'arrière et perdu mon équilibre. J'ai entamé une chute de quelques mètres...la suite vous la connaissez.

On aurait pu croire que se souvenir de cet atroce moment aurait fait venir les larmes chez le vieux sorcier, mais à force d'y penser chaque jour pendant 46 ans, l'effet s'était atténué et même s'il ressentait toujours une douleur insupportable dans sa poitrine, il parvenait désormais à se contrôler.

Et vous? Que vous est-il arrivé?

Après tout, il était dans la même position que le fantôme, et lui non plus ne montrerait aucune gêne.

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